HELMUT BERGER
29 mai 1944 - 18 mai 2023
L'acteur d'un des plus grands, des plus beaux films du monde vient de mourir.
Avec Helmut Berger, Romy Schneider, Silvana Mangano, Trevor Howard, Gert Fröbe, Helmut Griem, Umberto Orsini
Après ma récente visite en Bavière (l'article a tellement passionné les foules que ça me donne envie de relater toutes mes sorties) sur les traces de Ludwig, le besoin de revoir le chef-d'oeuvre de Visconti qui évoque le règne (façon de parler) de Ludwig II de Bavière s'est fait pressant.
Et j'ai bien fait de revoir ce film renversant car plusieurs jours après je suis encore envahie par les images exceptionnelles et la musique et j'aime que les films m'envahissent ainsi. Il dure 277 minutes, en gros 4 heures et 37 minutes. Et pourtant pas une de trop.
Ludwig se retrouve propulsé sur le trône à la mort de son père Maximilien. Il n'a que 18 ans et puisque son père l'a toujours tenu éloigné de sa future mission, le jeune homme n'a aucune idée de ce que régner veut dire. Il prend pourtant son rôle très au sérieux au début mais comprend rapidement qu'il n'a qu'un rôle d'apparat, le pouvoir étant réservé aux chambres du parlement. Ayant été élevé dans des châteaux, hors du monde, il a développé un goût prononcé pour le romantisme, les arts, la poésie, la musique, la peinture et se détourne définitivement de son rôle. Bref, Ludwig est un romantique, rêveur absolument pas fait pour régner. Il a en outre une sainte horreur de la chasse comme de la guerre ce qui est incompatible avec sa fonction.
La construction des châteaux de conte de fées est au coeur du film. Le célébrissime Château de Neuschwanstein a même inspiré Walt Disney pour celui de la Belle au bois dormant. Ludwig n'y aurait séjourné que 70 jours. Un autre est la réplique de Versailles avec une astuce qui rend la galerie des glaces infinie. Les visiter (seules quelques pièces sont accessibles au public) dans leur écrin de verdure qui paraît inaccessible, y accéder en calèche (oui messieurs dames), se perdre dans les jardins réserve de magnifiques moments. Les revoir dans le film où il a été tourné relève de la magie.
Les décors sont donc au-delà de l'imagination. C'est flamboyant, baroque, rococo, du pur mauvais goût mais cela ajoute à la personnalité absente, ombrageuse, rêveuse de Ludwig que l'on imagine pas dans un palais ordinaire. Il déambule la nuit dans une grotte agrémentée d'un lac souterrain, dans des embarcations improbables en forme de coquillage, entourés de cygnes omniprésents sur l'eau comme dans les décorations des châteaux. Visconti n'a pas oublié ce détail. Le cygne est pour Ludwig le symbole de la pureté mais aussi il joue un rôle important dans l'Opéra de Wagner Lohengrin. C'est tout jeune que le futur roi assiste à la représentation de cet Opéra qui l'impressionne profondément. Rencontrer le compositeur devient une obsession qui évidemment sera satisfaite. Il restera marqué toute sa vie par cette musique et par sa rencontre avec Wagner dont il deviendra le très généreux mécène et le film se concentre un temps sur cette relation toxique. Wagner et sa chère Cosima exploitent la jeunesse, la naïveté et la générosité du jeune homme et profitent de son argent. Trevor Howard et Silvana Mangano incarnent à la perfection ce couple fusionnel et vénal.
Le film est construit comme une enquête. Face caméra défilent de nombreux personnages qui ont côtoyé Ludwig et doivent déterminer, témoignages à l'appui de tous ceux qui le côtoient, s'il est fou et peut être maintenu dans ses fonctions. Les témoignages m'ont paru être une véritable entreprise de démolition de celui qui les a entretenus et en qui pour certains il avait une grande confiance. La profonde mélancolie et la solitude de Ludwig explosent à chacune de ses apparitions. Lorsqu'il arpente à grandes enjambées les pièces de ses châteaux. Lorsqu'il s'offre les services d'un acteur qui s'épuise à déclamer d'interminables tirades que Ludwig, insomniaque, lui réclame jour et nuit.
Seule sa cousine Elizabeth, impératrice d'Autriche-Hongrie lui apporte quelque sérénité et des instants de connivence voire de bonheur. Comme lui Sissi, accablée de solitude, s'épuise dans les plaisirs que procurent les arts et les voyages. "Puisqu'on me trouve frivole, autant que je le sois". Ils se comprennent et Ludwig est secrètement amoureux d'elle mais elle rit lorsqu'il lui récite des poèmes ou lui parle de la musique de Wagner : "Mon cousin veux-tu donc faire de la Bavière une nation de musiciens ?
Elle finira comme tous les autres par se détourner de lui, lassée de ses extravagances après avoir essayé de le marier à sa soeur Sophie. Ludwig rompra ces fiançailles après quelques mois. Lorsque Sissi, appelée à la rescousse pour tenter de ramener son royal cousin à la raison, elle visite les châteaux et éclate de rire en les découvrant. Cet éclat de rire est d'une cruauté abrupte et sans appel. L'idée géniale de Visconti est d'avoir proposé à Romy Schneider de reprendre le rôle de Sissi. Rôle dont elle ne voulait plus entendre parler après avoir été l'Impératrice dans les trois films d'Ernst Marischka (la trilogie niaiseuse mais incontournable diffusée chaque année à Noël). Heureusement, elle a accepté. Plus que jamais dans ce film elle est Sissi. Une Sissi d'une beauté insolente presque surnaturelle. En traîneau, sous son ombrelle, sur son cheval elle semble se fondre dans chaque paysage de la Bavière. Le non couple qu'elle forme avec Ludwig/Helmut Berger est mythique. Et son personnage est à l'opposé de celui qu'elle avait composé devant la caméra de Marischka. Sombre, tourmentée, cruelle elle cache derrière ses sourires impeccables toute la tristesse du monde.
Les trois dernières minutes de cette scène SUBLIME (ci-dessous) sont bouleversantes. La vie de Ludwig bascule à cet instant où Sissi lui assène : "Je te donne l'illusion de l'amour... Tu voudrais faire de moi ton impossible amour... L'amour est parfois un devoir et ton devoir est d'affronter la réalité". Comment dire cela à Ludwig qui ne vit qu'à travers les arts, les rêves, la beauté, tout ce qui l'éloigne des réalités du monde et l'aide à le supporter, comme son amour pour la seule femme qu'il a aimée ?
Définitivement délaissé par Elizabeth, par Wagner qu'il est contraint de chasser, le roi, de plus en plus isolé et ténébreux, cloîtré volontairement s'entoure d'une cour de jeunes éphèbes et s'abandonne sans joie à tous les plaisirs possibles et imaginables, aux orgies, à l'alcool, laissant enfin libre court à son homosexualité. Le destin tragique, énigmatique de Ludwig est encore à ce jour une affaire pas clairement résolue. On a du mal à croire que l'explication donnée par le Comte Von Holstein un de ses plus fidèles conseillers et néanmoins traitre, responsable du complot visant à destituer le Roi, soit la bonne.
Le film aurait été réalisé en hommage à l'amour que Visconti portait à son acteur. Fasciné par la beauté d'Helmut Berger, il le filme sans perdre des yeux un instant cet être passionné, hypersensible que la solitude et les déceptions à répétition plongent peu à peu dans la folie. Le réalisateur détruit peu à peu la beauté quasi surnaturelle de son acteur en imprimant sur son visage, ses dents pourries tous les stigmates de la déchéance et du désenchantement. Comme pour en creux évoquer la fin d'un monde, la déliquescence du siècle et du romantisme.
Helmut Berger est l'incarnation même du héros romantique tourmenté. De lumineux et doux son visage se transforme peu à peu en un masque d'inquiétude, d'anxiété et de souffrance. Ce personnage, ce rôle, cet acteur sont absolument bouleversants. J'ai noyé de larmes les dernières minutes de ce film que Visconti conçoit dans un univers baroque et une réalisation follement élégante. Comme dans Le Guépard autre chef-d'oeuvre indépassable qui évoquait déjà le vacillement d'un Prince. Ici, à mesure que la déchéance se profile, le rythme ralentit mais toujours martelé par les accords d'un piano angoissant. La musique sublime de Wagner accompagne avec puissance la plupart des scènes grâce aux pages les plus éblouissantes de Lohengrin ou Tristan et Isolde.
Ludwig cherchait la liberté dans l'impossible. Helmut Berger le rend fascinant, admirable, inoubliable et bouleversant.
Commentaires
La beauté de ce type dans ce film là ! et d'autres ... inoubliable. Impossible de penser à lui en vieillard.
Cette beauté dans ce film là que le réalisateur prend plaisir à saccager... c'était pas humain.
Depuis quelques années il ne ressemblait plus à Ludwig. Il avait toujours l'air complètement égaré.
J'étais tellement triste de le voir chez Bonello dans Saint Laurent où il devait regarder Les damnés de Visconti (Quelle élégance de la part de Bonello !), film dans lequel, encore une fois sublime, il jouait un pédophile...
Bonsoir Pascale, merci pour ce bel homme à Helmut Berger mort 11 jours avant son 79 anniversaire. Je veux me rappeler de lui jeune. Dans le film de Bonello, c'est triste de le voir dans cet état. Et quand je pense qu'il y toute une jeune génération qui n'ont pas vu les Damnés de Visconti. Cela m'a frappée car j'ai eu l'occasion de voir les Damnés à la Comédie Française il y a 3 ans (j'ai détesté) et je parlais du film autour de moi. Personne ne l'avait vu. J'étais effondrée. Et dans les Damnés, Ingrid Thulin n'a jamais été aussi belle. Visconti savait vraiment filmer ses acteurs. De ce film, il ne reste plus que Renaud Verley et Umberto Orsini et Charlotte Rampling. Pour Ludwig, Romy est sublissime. Bonne soirée.
Rebonsoir. Oui c'était triste de le voir tel qu'il était devenu et Bonello ne lui rend vraiment pas hommage (ni à Saint Laurent dailleurs).
Les damnés est un film éprouvant mais magnifique, viscontien. La 1ère apparition d'Helmut en guêpière et porte jarretelles, inoubliable.
L'année dernière je suis allée en Bavière sur les traces de Ludwig, je ne cessais de penser à Helmut.
Helmut est donc parti rejoindre Wagner et son prince italien dans les châteaux d'outre-tombe. Inoubliable Ludwig en effet, certes malmené par son amant réalisateur, mais pour donner le meilleur.
Je dirais qu'il est parti rejoindre son prince et son musicien. Il y a quand même une hiérarchie majesté.
Oui il n'a pas loupé son Dorian Grey le Lulu (Visconti). Mais pour avoir lu la bio de Lulu (wig), il s'était empaté et avait les dents pourries.
Il était magnifique dans "Violence et Passion", d'une beauté presque décadente. Il était presque méconnaissable ces dernières années
Les stigmates d'une triste vie un peu dissolue sans doute.
J'en parlais récemment mais l'acteur Bjorn Adresen de Mort à Venise subit un peu le même sort et la même dégradation physique et mentale. Visconti n'a pas fait que du bien à ces garçons.