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LIMBO

de Soi Cheang ***(*)

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Avec Ka Tung Lam, Yase Liu, Mason Lee, Hiroyuki Ikeuchi

Dans un quartier poubelle d'une ville tentaculaire qui pourrait être Hong-Kong rincée par une pluie battante permanente, la main gauche d'une femme est découverte au milieu des détritus.

Puis une autre main... L'équipe chargée de faire le lien entre ces découvertes et de trouver le tueur se compose de Cham Lau, un vieux de la vieille pas commode mais respecté par ses collègues et d'un jeunot, Will Ren nouvellement promu à la tête de la brigade. On se doute que la cohabitation entre le jeune qui sort de l'école, respecte les codes et le "vieux" pas très à cheval sur les méthodes, sera compliquée. Pas un seul dentiste à l'horizon et pourtant le jeune Will souffre d'une rage de dent épouvantable. Ce petit détail aura son importance lors du seul trait d'humour du film qui propose une descente dans les enfers d'une ville où tous les rebus de la société, ceux dont on ne veut pas, qu'on ne veut surtout pas voir sont entassés comme des déchets grouillant et pourrissant. Et dès la première image, d'une beauté glaçante, d'un noir et blanc sublime très contrasté on comprend qu'on va être immergé pendant deux heures aux portes du purgatoire.

Au-delà de l'histoire, on sent que le film est un exercice de style (très réussi) de la part du réalisateur, que la mise en scène, chaque plan sont le fruit d'une volonté et d'un savoir-faire indéniables. Pour le spectateur, c'est une autre paire de manches et au-delà de la contemplation, il va devoir surtout suivre le calvaire d'une fille Wong To que la police va utiliser selon des méthodes peu conventionnelles. La jeune femme devenue délinquante (elle vole des voitures pour le compte de petits malfrats du coin), toxicomane à la suite d'un drame (elle a accidentellement tué la femme du flic) ne va cesser d'implorer son pardon, de supplier qu'on la laisse vivre. Mais plus elle supplie, quémande et s'agenouille, plus elle est secouée, battue, violée (scène parfaitement dispensable), martyrisée. A l'instar des "héros" de A bittersweet life ou du récent Sisu, le personnage de Wong To est increvable, se relève de toutes les humiliations et tortures, réussit à s'échapper lors de courses poursuites infernales (admirablement filmées et chorégraphiées) et à se relever malgré les coups et son corps de plus en plus meurtri, cassé. Mal à l'aise, le spectateur gigote sur son siège et se demande quand le calvaire de la jeune femme va prendre fin.

Autant dire que le "spectacle" ne peut convenir à tout le monde et qu'il est rare de voir autant de violence et de brutalité dans un film qu'il est pourtant difficile de ne pas "aimer" tant il est beau et original. On arrive même à passer sur le fait que le tueur ne soit pas très réussi et comme le disait Alfred "Plus le méchant est méchant, plus le film est réussi". Ici, le sale type est loin d'avoir le charme vénéneux de Keyser Söze ou de John Doe, le mal absolu incarné par le même acteur. On essaie même de lui trouver un côté bon samaritain sympathique puisque pendant un temps il semble s'intéresser et protéger une junkie très mal en point. Mais son personnage s'avère finalement pas intéressant du tout. Il tranche la main gauche des femmes avec des objets divers et rouillés alors qu'elles sont encore en vie ou les maintient captives dans son cloaque pourri et on a du mal à comprendre ses motivations. Il semblerait qu'il faille (pour changer) s'orienter du côté de la mère du malfaisant mais cela n'est pas clair.

On se trouve donc ici entre la fascination et le dégoût et j'ai fini par accepter d'être une vilaine fille qui apprécie le spectacle tout en étant parfois obligée de fermer les yeux. Mais les poursuites à pied, au pas de course ou en 4X4 sont vraiment époustouflantes, les scènes d'affrontements brutales comme jamais et tiennent dans la durée jusqu'au malaise. Et la façon de filmer parfois en surplomb de la scène permet au spectateur de voir à la fois le poursuivant et le poursuivi.

Bizarrement ce concentré de misanthropie cauchemardesque se conclut de façon inattendue et quasi romantique. Etrange donc, jusqu'à sa conclusion qui accumule parfois un peu trop les coïncidences pour réussir à conclure mais cela ne m'a absolument pas gênée. La photographie mérite presque à elle seule le déplacement mais pas seulement.

Limbo: Ka
Tung Lam

Commentaires

  • Je te trouve bien indulgente pour ce film bourré de clichés (et le fait que la photographie soit soignée n'est pas une excuse). Il m'a fait subir un bond d'une trentaine d'années en arrière, quand je découvrais le cinéma de genre d'Asie orientale, avec ses excès, ses facilités. Fort heureusement, il a progressé depuis. Mais là, le scénario est manichéen et la direction d'acteurs manque de subtilité.

  • En effet nous ne sommes pas d'accord. J'ai été plutôt bluffée par l'ensemble. Sauf le manque d'intérêt qu'on éprouve envers le tueur.

  • Un choc et un éblouissement, une torture et un spectacle fascinant. Ce film convoque une somme de ressentis antithétiques et laisse des traces, indéniablement, bonnes ou mauvaises. Comme tu l'écris, il n'est sans doute pas à proposer à tous les yeux mais, pourtant, ça faisait bien longtemps que nos yeux n'avaient pas contemplé tel enfer. Tu ajoutes Kenji Kawai à la musique (celui de "Ghost in the Shell), le fils de Ang Lee dans le rôle du flic avec la rage de dent, Gordon Lam, familier de Johnnie To dans le rôle de l'autre flic, la prestation absolument phénoménale de Wong To (j'ai eu la même réaction avec la scène de viol, mais le réal s'en explique dans un interview de Cinema Teaser), des prises de vue dingues, une course poursuite à pied dans les bas-fonds où la caméra se faufile partout (on croirait du Tsui Hark au top de sa forme), et ça donne du HK comme on n'en avait pas vu depuis...
    Très chouette ton article. Manque peut-être une étoile (on va dire que c'est pour sanctionner une conclusion un peu niaise).
    PS : et un Grand Prix à Reims Polar.

  • Entièrement d'accord. Un vrai choc.
    La musique est impressionnante aussi.
    L'étoile manquante (je vais peut-être lui en remettre une demi parce que quand même...) est à cause du viol parfaitement inutile (quoiqu'il ne manquait que cela au calvaire de Wong To) et le fait que le méchant manque de subtilité.
    Il semble que le Prix rémois ait permis au film de sortir en France.

  • Hello Pascale :)

    Il me tente. Mais il me fait un peu peur. J'vais commencer par rattraper Indy le week-end prochain. On verra ensuite...

  • Hello.
    Ah oui Indy me semble indispensable et Ethan aussi.
    Ta petite nature devrait rejeter ce film :-)

  • Ouais. Petite nature ? J'ai quand même beaucoup "aimé" Dogville, par exemple.

  • Je ne pense pas que cela puisse être comparable en termes de brutalités. Mais je n'ai plus trop le film en tête. Je voulais juste dire qu'en général tu n'apprécies guère la violence et j'ai lu récemment que tu ne pouvais pas voir deux polars/thrillers à la suite. Moi je peux enquiller les horreurs sur grand écran, ça me change des humains :-))))

  • 100% d'accord, mais je serais encore plus dythirambique, j'ai adoré cette immersion dans les bas-fonds de HK, un film auquel il ne manque pas grande chose pour être un très grand film

  • Oui c'est une sacrée plongée. En ce qui me concerne c'est vraiment le manque d'intérêt qu'on porte au tueur qui m'a gênée le plus.

  • Bonjour Pascale, un film que j'ai apprécié pour le noir et blanc suffocant, pour Wong To, une jeune femme qui en a dans le pantalon. Elle ne s'avoue jamais vaincue. Pour le décor dantesque, cette décharge à ciel ouvert est impressionnante. Un très bon polar. Bonne journée.

  • Bonjour dasola, en effet toutes ces raisons en font un film hors du commun.

  • Je m'attendais à aimer, la violence au ciné ça me fait pas tellement peur. Mais je suis restée en dehors. Je ne pensais pas être autant gênée par la violence envers le perso féminin, et pourtant, je n'ai pas pu, ça m'a écoeurée. Même la beauté du noir et blanc n'a rien pu faire, j'avais hâte que ça se termine. Je n'ai aimé que la scène de fin.

  • Je suis surprise de lire que la violence au cinéma ne te gêne pas. C'est bien le dernier film que je t'aurais conseillé :-)
    Le calvaire de Wong To est insoutenable. Ce devrait être impossible qu'elle s'en sorti.
    J'aime beaucoup les scènes finales qui déplaisent beaucoup en général car elles sont trop différentes de l'ambiance générale.

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