de Tina Satter ***

Avec Sydney Sweeney, Josh Hamilton, Marchant Davis

Cette histoire est vraie.

En rentrant chez elle après avoir fait quelques courses, Reality est interpellée par deux hommes qui lui posent des questions qu'elle ne comprend pas.

Puis ils sortent leurs cartes. Ce sont deux agents du FBI. Reality a-t-elle fait une grosse bêtise ? Est-elle dans de sales draps ? Feint-elle de ne pas comprendre ce que veulent les agents ? On peut s'étonner qu'à aucun moment elle ne leur demande de quoi il s'agit. Ils lui proposent de poursuivre l'interrogatoire, au choix dans leur bureau situé à quelques pâtés de maison ou chez elle. Elle opte pour la seconde solution. Dans un premier temps, une troupe d'agents investit sa maison, s'assure qu'il n'y a personne à l'intérieur, met le chien énervé dans une cage alors qu'une conversation anodine s'engage entre Reality et l'agent Garrick bientôt rejoint par l'agent Taylor.

Cette longue scène introductive installe le malaise et face à l'apparence fragile de Reality on ne peut que croire en son "innocence" confrontée à deux malabars du FBI, même s'ils se comportent de façon très courtoise. La petite blondinette de vingt-cinq ans à queue de cheval et en short se préoccupe davantage du sort des produits frais qu'elle vient d'acheter et souhaite ranger au frigo, de son chien et de son chat (qui n'aiment pas les hommes) que du sien propre...

Dès lors que le dispositif est en place, que l'enregistreur est allumé, qu'une pièce de la maison inoccupée, sans mobilier est choisie pour poursuivre l'interrogatoire, on comprend peu à peu qui est Reality. Son nom est Winner. Admirons l'ironie.

Malgré son jeune âge Reality est déjà une vétérane de l'US Air Force. Linguiste cryptologue elle maîtrise le persan, le dari et le pachto et se passionne pour le Coran. Elle est aussi professeure de yoga à ses heures et travaille chez Pluribus International Corporation, une entreprise prestataire de la NSA. Les agents du FBI lui annoncent les raisons de cet interrogatoire. Elle serait responsable de la fuite de documents classifiés transmis à un organe de presse. Ce rapport reprendrait des accusations d'ingérence russe dans l'élection de Trump en 2016. Reality nie d'abord, tout en reconnaissant néanmoins avoir imprimé des documents qu'elle souhaitait lire mais qu'elle s'en serait ensuite débarrassé. Plus tard, elle dira qu'elle n'en pouvait plus de subir les infos qui tournent en boucle sur l'écran de télé allumée en permanence dans son open space. Ce serait le renvoi de James Comey (directeur du FBI) par Donald Trump qui aurait été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase.

On plonge pendant 1 h 20 dans ce film inclassable qui a la particularité de reprendre verbatim les échanges entre Reality et les deux agents. La façon dont se déroule l'interrogatoire est surprenant de bout en bout. Après une introduction parfaitement absurde, les agents en viennent aux faits. Ils en savent manifestement plus qu'ils ne le disent au départ et c'est davantage aux méthodes des agents que la réalisatrice s'intéresse. Calmes et plutôt sympathiques, ils exercent leur pression tout en douceur et Reality sent bien que la manipulation, l'intimidation et les menaces ne sont pas loin. Il leur faudra donc à peine une heure pour parvenir à leurs fins. C'est totalement immersif et terriblement anxiogène.

"Pendant le tournage, Tina Satter souhaitait conserver cette tension, tout en intégrant des plans sur d'authentiques éléments de la vie de Reality - photos et publications sur les réseaux sociaux - et quelques images furtives du procès-verbal ou du spectre sonore de l'interrogatoire".

L'interprétation de Sydney Sweeney, d'absolument tous les plans et souvent en gros plans est remarquable. Pour ceux qui ne carburent pas aux séries, elle est peut-être inconnue même si on a pu la découvrir dans la bande de Charlie Manson dans Once upon a time... in Hollywood et dans cette horreur Under the silver lake (un des plus mauvais films de tous les temps).