BÂTIMENT 5
de Ladj Ly **(*)
Avec Anta Diaw, Alexis Manenti, Aristote Luyindula, Steve Tchientcheu, Aurélia Petit, Jeanne Balibar, Bass Dhem
Pierre, médecin pédiatre devient maire presque par inadvertance et sans le vouloir vraiment à la mort brutale du maire en place.
Dans sa ville de banlieue, il prend en marche le plan de réaménagement d'un quartier où les immeubles insalubres sont voués à la démolition. Le bâtiment 5 est particulièrement visé par cette mesure. Haby qui y vit depuis toujours et est très investie dans sa mission sociale auprès d'une association locale sent bien que tout ne se passe pas en toute transparence. Elle a raison et va tenter d'agir.
Si le précédent (et excellent) film de Ladj Ly, Les Misérables évoquait la vie d'une banlieue "chaude" du point de vue de la police et plus précisément celle d'une équipe de la BAC (Brigade anti-criminalité) confrontée aux tensions entre différentes "communautés", le réalisateur s'attaque cette fois au mal logement et il frappe à nouveau très fort. Mais cette fois il est moins convaincant car, toujours en colère, il ne fait pas dans la demi-mesure et place les habitants de la cité (gentils) d'un côté, contre les policiers et les politiciens de l'autre (tous pourris). C'est dommage, ce manichéisme dessert un peu le propos pourtant très fort. Nul doute que Ladj Ly lui-même habitant de quartiers en difficultés et star dans son quartier sait de quoi il parle. Mais la scène où la police vient tambouriner aux portes et exigent en hurlant que tous les locataires quittent leur logement dans les cinq minutes un soir de Noël et de n'emporter que le strict nécessaire, obligeant les habitants à jeter des effets, voire des meubles par la fenêtre, une dame malade sous respirateur artificiel éjectée de chez elle, des enfants, des bébés mis à la rue... ressemble à une méthode de nazis qui me paraît un peu exagérée. Je ne mets pas en doute la réalité des expulsions musclées mais ici il s'agit de personnes locataires voire propriétaires de leur logement et l'incendie dans l'un des appartements permet au maire de programmer cette expulsion en prétendant mettre les personnes en sécurité. La scène est puissante (cinématographiquement), le procédé immonde mais la démonstration peut-être contestable. Entre autre. Pour le reste, les flics et les politiques sont toujours et tous présentés comme des gens violents, magouilleurs voire manipulés par leur hiérarchie encore plus pourrie qu'eux. Les politiciens ou les élus se refilant les dossiers sensibles comme des patates chaudes afin que les responsabilités pèsent sur d'autres.
Il y a beaucoup moins d'humour dans ce film que dans Les Misérables (que j'ai pu revoir cette semaine et qui est toujours aussi percutant), moins de personnages pittoresques aussi mais l'interprétation est de haut niveau et le réalisateur s'entoure de sa troupe que l'on retrouve et notamment Alexis Manenti aux antipodes de son rôle de flic énervé dans celui ici du maire avec une tête de premier de la classe, de Jeanne Balibar cette fois Préfète (qui nous instruit d'une belle explication du port de l'écharpe tricolore suivant que l'on est maire ou Préfet*) ou Steve Tchienticheu (ex maire des Misérables). La toute jeune Anta Diaw quant à elle, jeune femme noire, "une française de [son] temps" impressionne beaucoup dans le rôle de la militante qui ne lâche rien et entend bien être la prochaine élue de la ville.
Vous l'avez compris, le cinéma de Ladj Ly reste politique et engagé et entend rendre visibles ceux que l'on voudrait faire taire ou voir disparaître. Et malgré les excès le réalisateur manifeste à nouveau des qualités exceptionnelles lorsqu'il s'agit de mettre en scène les tensions. Plusieurs scènes démontrent un savoir faire impressionnant. La toute première où il s'agit de faire descendre un cercueil dans les escaliers parce que l'ascenseur est en panne depuis des années et où l'on découvre l'état de vétusté du bâtiment, une autre où un bâtiment est détruit, celle de l'expulsion de nuit, violente et révoltante, jusqu'à la toute dernière où un ami d'Haby s'en prend à la famille du maire. On retient son souffle. Et là, je me suis mise à penser aux maires (ok ici c'est un connard), aux pressions, intimidations et menaces qu'ils subissent de la part des administrés en colère, parfois à juste titre (la colère, pas les menaces).
Vraiment dommage que la démonstration manque à ce point de nuances même si l'on comprend la colère lorsque l'on vit ou est témoin de ces situations dramatiques du mal logement au quotidien.
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* La couleur bleue doit se trouver vers l'extérieur pour les maires à la différence des sénateurs ou députés qui arborent l'écharpe avec le rouge en haut, du côté du cou (ils sont responsables de la décapitation de Louis XVI, la couleur rouge vers le cou représente le sang versé).
Commentaires
Même s'il a exagéré, je pense qu'il doit être très près de la réalité. J'irai peut-être.
Oui, ça vaut de toute façon le coup. Tu me diras.
Un peu trop polarisé pour moi. Déjà "les Misérables", c'était limite. Mais très bien.
C'est quand même bien qu'une partie de cette sinistre réalité soit montrée.
J'ai adoré "Les Misérables", et après la cité vu via le prisme flic vs dealers ce nouveau film paraissait cohérent en montrant une autre facette plus sociale, mais terriblement déçu avec une omniprésence de la police (encore) et en accentuant les caricatures (bavures même en arrière plan, en filigrane... etc...) alors que la dimension sociale aurait dû être plus présent, même le côté politique se fait par une lecture un peu grossière. Un film pertinent sur le fond, mais terriblement maladroit et cliché dans les détails. Déception
Oui c'est à peu près ça. C'est un film très en colère et du coup il tape sur les flics et les politiques en en faisant tous des pourris. C'est dommage. La misère d'un côté, l'inhumanité de l'autre. C'est trop caricatural pour aider "la cause", même s'il y a une part de réalité dans tout ça.