de Celine Song ***(*)

avec Greta Lee, You Teo, John Magaro

Na Yung et Hae Sung sont les meilleurs amis du monde en Corée, même s'ils s'opposent parfois lorsque le garçon pique la place de 1er de la classe à la fille.

Cette amitié amoureuse de l'enfance est évidemment platonique. L'année de leurs 12 ans, Na Yung émigre à Toronto avec ses parents et devient Nora. La séparation me semble très coréenne : sans effusion malgré la tristesse évidente qui pèse sur les épaules et dans le coeur des enfants. Chacun de leur côté, à des milliers de kilomètres, ils font leur vie. Se retrouvent pour un temps à la vingtaine grâce à internet et via des appels video. S'éloignent à nouveau. Vingt ans plus tard, Hae Sung vient passer quelques jours à New York où Nora vit désormais avec son mari. Que va-t-il se passer ? Comment vont-ils vivre et supporter ces retrouvailles ?

La grande émotion ne surgit que dans le dernier quart d'heure du film et c'est dommage. La réalisatrice a choisi la douceur, la réserve et la retenue pour évoquer un pan de son histoire personnelle. Comme Na Yung, elle a quitté son pays pour le Canada puis les Etats-Unis où elle a changé de prénom et comme Nora elle s'est un jour retrouvée assise entre son mari américain et son amour de jeunesse coréen. Et si l'émotion survient enfin avec la gorge qui se serre et les larmes qui affleurent, je regrette de ne pas avoir davantage éprouvé ce trouble tout au long du film. J'ai regretté aussi que l'enfance des deux personnages ne soit pas plus longuement évoquée.

Mais soyons clairs, on n'attend qu'une chose : que Nora et Hae Sung se retrouvent. Il n'en reste pas moins un film d'une infinie délicatesse mais également d'une grande intelligence et d'une grande maturité. Même si le moment où le mari, infiniment compréhensif et touchant, accepte de rencontrer Hae Sung, les deux hommes redoublant d'efforts pour parler la langue de l'autre, on ne peut s'empêcher d'être mal à l'aise pour lui tant on sent qu'il comprend ce qui se joue près de lui. Comment supporter que la femme que tu aimes te dise (à ta demande) que l'homme qui a parcouru des milliers de kilomètres pour la revoir t'annonce : "il est très viril, comme un coréen" ? Mais Nora ne néglige pas de rappeler à son mari que c'est lui qu'elle aime et qu'elle a épousé. Tout ce qui se passe ici est troublant mais sans agitation, sans animosité. L'intelligence des personnages qui comprennent tous qu'empêcher cette rencontre, ces retrouvailles serait contre-productif impressionne. Tant de sagesse et de fin discernement sont rares au cinéma.

La réalisatrice dont c'est le premier film maîtrise à la fois le caractère américain indépendant de son film comme l'aspect "coréen" et le mélange offre une sorte de comédie sentimentale originale et inédite dans laquelle le sentiment s'estompe à cause de la distance et se ranime instantanément. Dans laquelle aussi le sexe est absent ou hors champ, tout réside dans les regards échangés absolument renversants, évocateurs, vertigineux.

Le inyeon coréen est largement évoqué dans le film. "인연 renvoie au lien qui unit deux personnes et à la connexion émotionnelle entre ces individus". (merci Wiki). La réalisatrice explique : "Dans les cultures occidentales, le destin est une chose que l’on doit impérativement réaliser. Mais dans les cultures orientales... le inyeon est une notion romantique, mais en fin de compte, il s’agit simplement du sentiment d’être connecté et d’apprécier les personnes qui entrent dans votre vie, que ce soit aujourd’hui, hier ou demain".

Les acteurs forment un trio absolument charmant. Greta Lee m'était inconnue mais pas les garçons. John Magaro était le cow-boy cuisinier dans First cow et You Teo hantait déjà de son charisme irrésistible le très beau Leto.