L'INNOCENCE
de Hirokazu Kore-Eda ***(*)
Avec Sakura Andô, Eita Nagayama, Soya Kurokawa, Hinata Hiiragi
Saori, jeune veuve, ne comprend plus son fils de 10 ans, Minato, qu'elle élève seule.
Il rentre de l'école avec une seule chaussure, de la terre dans sa gourde, il se coupe les cheveux seul dans la salle de bains, il fugue et présente parfois quelques comportements dangereux. Devant cette incompréhension qui s'installe entre la mère et le fils, elle décide de rencontrer la directrice de l'école d'autant que le professeur d'histoire Monsieur Hori aurait eu des propos déplacés voire injurieux et traumatisants vis-à-vis du jeune garçon.
Dans cette ville et surtout cette école sans histoire (et l'on verra l'équipe éducative à l'oeuvre pour que l'honorabilité de l'école ne soit jamais mise en doute), une bagarre anodine entre deux enfants devient un véritable évènement. L'affaire finit par impliquer toute la "communauté" qui ne tarde pas à répandre fake news et rumeurs malveillantes à l'encontre d'un professeur innocent. Mais l'est-il vraiment ? Nous, spectateurs connaissons rapidement la réponse. Mais le noeud de l'histoire ne se trouve finalement pas dans la culpabilité ou non de Monsieur Hori. Et le réalisateur choisit de nous présenter cette nouvelle histoire dans laquelle il observe comme toujours la famille, les parents et les enfants qui la composent, à la Rashomon suivant trois points de vue (celui de la mère, du professeur, puis de l'enfant). Il complexifie énormément le scenario et nous perd parfois avec ces différentes temporalités, ces scènes inachevées... A nous à la toute fin de refaire le lien, la logique et de percer ce mystère qui s'est tant épaissi.
Le personnage de Yori, camarade de classe de Minato, fait son apparition tardivement et devient central à mesure que le film avance. Alors de quelle innocence s'agit-il ? Celle du professeur, de Yori, de Minato dont les visages d'ange ne peuvent laisser imaginer qu'un d'entre eux soit un monstre ? D'ailleurs quelle idée d'avoir traduit le titre original 怪物, Kaibutsu qui signifie Monstre !
En tout cas, même s'il nous perd par la complexité de sa narration qui nous donne à imaginer alternativement qu'un tel ou tel serait coupable, même si la sophistication de sa réalisation nous éloigne de l'émotion qui étreint souvent le coeur dans tous ses films précédents, on ne peut que reconnaître à quel point le réalisateur sait comme personne percer les secrets et les mystères de l'adolescence et fait finalement surgir l'émotion dans la toute dernière partie. Qu'il s'agisse d'un père qui assure à son fils qu'un cerveau de porc lui a été greffé, d'une mère aimante et responsable qui multiplie les coups d'éclat face aux incartades incompréhensibles de son fils, d'un professeur qui ne sait plus comment expliquer et résister aux rumeurs, des enfants face au harcèlement... le réalisateur est depuis longtemps passé maître dans l'art de l'analyse des sentiments et des évènements.
Kore-Eda étudie et nous présente les contradictions, les hypocrisies de son pays, évoque un tabou et nous donne encore et encore envie de nous manipuler comme il le fait ici en nous embarquant dans un labyrinthe de fausses pistes. Bravo. Je note que l'interprétation de tous et notamment des enfants (comme souvent dans les films asiatiques au sens large) est exceptionnelle.
Le film est dédié à Ryuchi Sakamoto auteur de la belle musique du film, mort récemment.
Les autres films de Kore-Eda sur ce blog :
Commentaires
Très beau film, on n'en attendait pas moins de la part de Kore-eda. Mais je suis d'accord sur l'embrouillamini du scénario, néanmoins sauvé par une mise en scène toute en sensibilité et délicatesse. Et j'aime beaucoup Sakura Ando.
Tu n'as pas écrit sur "la Vérité" avec Deneuve ?
Oui à un moment je me suis demandée si j'avais loupé une marche, si mon esprit s'était échappé ailleurs mais non, c'est vraiment embrouillé. Je pense qu'il a mélangé les bobines.
Sakura est formidable mais les enfants sont incroyables.
Si j'ai écrit sur La vérité. Mais c'est ma déception Kore Edienne...
http://www.surlarouteducinema.com/archive/2019/12/25/lola-catherine.html
Je crois que Kore-eda n'est pas seul responsable du choix de la structure du récit - voilà ce qui arrive quand on récupère le scénario d'un autre. Visiblement ça n'a pas dérangé le jury cannois.
Sur le coup c'est déroutant et on se laisse prendre au jeu. Qui a vraiment fait quoi ?
Oui sur le principe c'est plutôt bien pensé, de quoi nous prendre au piège des idées reçues, surtout que je ne savais pas que le récit était construit sur la pluralité des points de vue. Il y a quand même de grosses différences de parti-pris entre la première partie et la deuxième, comme ce moment où Hori mange un bonbon en pleine réunion avec la mère. On prend ça pour de l'affront alors qu'il cherche sans doute à se museler. C'est tout de même étrange.
Je ne savais strictement rien en entrant dans la salle. Mais Kore Eda, je fonce !
Me suis-je assoupie ? Aucun souvenir de ce bonbon !!!
En effet, tu as bien roupillé. Soari pique une crise en le voyant enfourner son bombe pendant le rendez vous. Et dans la deuxième partie, c'est la copine de Hori qui lui met dans la bouche en lui disant qu'il a une tête à faire peur.
Et du petit croche-patte vicieux de la directrice, tu t'en souviens ?
Le croche patte, j'étais réveillée.
Délicieuse dame.
Ah mais oui le bonbon...
J'ai pas trouvé ça marquant.
Voilà, ça a été mon dernier film de l'année. Pareil, avec Kore-Eda, je fonce sans savoir de qui pouvait bien traiter le film. Des hommes et des femmes et surtout de l'enfance. Et personnellement, je n'ai pas été perdu dans le scénario, j'ai trouvé justement admirable cette mise en scène qui nous fait découvrir l'histoire selon trois points de vues, et qui nous donne à réfléchir sur ce que l'on voit, et de la façon dont on le voit, ce qui change tout à l'histoire.
Un grand film pour moi, justement par cette mise en scène fait justement pour sortir de notre confort visuel de spectateur.
PS : sinon, je me souviens très bien des deux scènes de bonbons avec le professeur ...
PS bis : je suis resté jusqu'au bout cette fois-ci pour profiter des derniers moments de Ryuchi Sakamoto...
Règle numéro 1 : toujours savourer son Ryuchi jusqu'au bout.
Champion du monde de ne pas avoir été dérouté.
Et chance d'avoir fini l'année avec Kore-Eda qui nous fait foncer les yeux fermés.
Moi j'ai terminé par un film pas bon du tout, tellment pas bon qu'il m'a mise mal à l'aise...
Devine.
Revu Third murder : film GENIAL. Et Kore-Eda charmant dans les bonus.
Oh toi, tu t'es fait les Vermines pour finir l'année...
Non, ça je pourrais pas.
Laulau et sa Cricri n'ont pas voulu en parler par respect pour le réalisateur. J'ai trouvé ça amusant mais les bestioles... tfaçon jpeux pas.
Cherche encore.
Là j'attaque le 1er de 2024.
Il est chilien.
Donc tu es allée voir "La Tresse".
Et "les Colons" pour commencer l'année, c'était bien ?
La tresse c'était il y a longtemps, une catastrophe ce film.
Non, c'est un autre. Français.
Les colons, j'ai pas aimé.
Les duellistes de Perez ? Un film avec Roschdy ne peut foncièrement pas être mauvais tout de même...
Ma moitié est allée voir "la Tresse", elle n'a pas versé une larme.
Gagné. Pas foncièrement non mais assez gênant quand même...
Comment pleurer devant la Tresse ? Seul le segment indien était digne d'intérêt mais mettre la vie misérable de cette femme en parallèle avec celles des deux autres m'a vraiment dérangée.
J'ai vu 5 films de Kore-eda‧ Soit, quasiment tous moins 1 depuis que je l'ai découvert avec l'incroyable tel père -tel fils.
Je vais voir sa nouvelle création ce soir, j'ai hâte!
Il te manque quelques films de Kore-Eda qui en a réalisé 16. A moins que tu comptes à partir de Tel père, tel fils. A rattraper je te recommande Air Doll et le bouleversant Nobody knows.
Hâte d'avoir ton avis sur cette Innocence.
Il faut que je trouve un moyen de rattraper les autres. Bon et bien l'Innocence est un grand coup de coeur. C'est un film magnifique, et quelle scène de fin
Cette scène est renversante oui.