UNIVERSAL THEORY
de Timm Kröger ****
Avec Jan Bülow, Oliva Ross, Hanns Zischler
Lors d'une émission de télévision en 1974, un chercheur, Johannes Leinert dont la thèse de doctorat n'a jamais été validée a choisi d'écrire un roman pour tenter de faire connaître au monde le fruit de ses recherches et hypothèses.
Voyant que le présentateur, les invités et les spectateurs se moquent ouvertement de lui et de sa théorie des univers parallèles, il quitte le plateau. Mais avant cela, il s'adresse à la caméra et lance : "Karin, où que tu sois, retrouve-moi". La scène est en couleurs et Johannes semble être une personne très perturbée. Lorsqu'on le découvre 12 ans plus tôt en fringant jeune chercheur, et le reste du film sera dans un noir et blanc de toute beauté, il se rend avec son très maussade et grincheux maître de thèse à un congrès de physique dans les Alpes suisses au cours duquel doit s'exprimer une sommité nobélisée. L'invité fait finalement faux bond, le congrès est annulé mais les deux hommes décident de passer quelques jours dans la région puisque l'hôtel leur est réservé. Dès lors, les mystères, disparitions, morts violentes et autres accidents inexplicables ne vont cesser de se succéder.
Je suis heureuse mais vraiment HEUREUSE d'avoir pu plonger et me laisser absorber, submerger, engloutir par ce maelstrom de théories scientifiques, physiques et quantiques sur lesquelles planent les ombres d'Heisenberg, Einstein et Oppie. Je peux même à présent (merci Chris) repérer une citation dans un film sans avoir à en chercher qui en est l'auteur :
"Je suis devenu la mort, le destructeur des mondes".
Vous avez sans doute compris depuis toutes ces années où vous me suivez assidûment à quel point mon niveau scientifique, même si je suis championne en calcul mental (avec mon ardoise et ma craie, j'étais quasi imbattable sauf parfois par cette crâneuse de Rachel) avoisine le zéro pointé. Alors évidemment, j'aurais sans doute besoin d'aide pour comprendre ce que j'ai vu à l'écran mais pas forcément car j'ai savouré chaque seconde de ce film vertigineux qui jamais mieux qu'un autre ne m'a ouvert les portes des multivers (Marvel et compagnie, vous pouvez retourner à vos études) et fait pénétrer dans les failles temporelles d'univers parallèles, donner à entendre le grondement obsédant et terrifiant des radiations au travers des parois d'une montagne monstrueuse et attirante, me trouver prise de vertige à l'évocation de la Théorie du tout (dont je n'avais jamais entendu parler), hypothèse qui semble terrifier les scientifiques de l'époque du film (les années 60 et 70) qui préfèrent ignorer qu'il serait possible d'unifier les interactions gravitationnelles et électromagnétiques. Vous voyez un peu le bazar ! Personnellement et contrairement aux têtes chercheuses, cela ne m'empêchera jamais de dormir mais sur l'écran, cela m'a provoqué des frissons, des sensations épidermiques et cardiaques.
Et puis, c'est tellement beau une équation scientifique écrite au tableau.
Alors de quoi s'agit-il ? Comment voulez-vous que je vous raconte cela ? Mais je vais essayer, je suis là pour ça.
Imaginez que vous entrez dans une boite de Schrödinger... Non je déconne.
Avant tout, il faut savoir que les références au maître incontesté du thriller mental souvent imité, jamais égalé, n'ont jamais été aussi évidentes qu'ici. Je crois que jamais film n'a été plus hitchcockien depuis... Hitchcock. La musique de Diego Ramos Rodriguez alternativement percussive ou envahie de cordes parfois inquiétantes, parfois follement romantiques et que n'aurait sans doute pas reniée Bernard Hermann, participe à cette impression envoûtante d'être devant Agent secret ou Les 39 marches :
voire L'inconnu du Nord-Express pour la scène de train :
sans parler des sinistres enquêteurs à chapeaux (à droite vous pouvez reconnaître David Bennent, Le tambour...) :
Lors d'un orage terrible, Johannes se réfugie dans une étrange chapelle à faire frémir. Une jeune femme s'y réfugie aussi. Elle se fige en voyant Johannes. "J'ai l'impression que vous avez vu un fantôme" lui dit-il. Elle s'échappe sans lui dire son nom. Il la retrouve plus tard en tant que pianiste de l'hôtel où elle offre une interprétation jazzie des Barricades mystérieuses de Couperin (si vous ne connaissez pas cette merveille, je vous invite à découvrir la version guitare (ma préférée) https://youtu.be/rExn7xYUMIk?feature=shared) et lors de leur première conversation lui rappelle un évènement de sa vie à lui qu'il n'a jamais raconté à personne. Alors Johannes et Karin se sont-ils rencontrés, aimés, vont-ils s'aimer, s'aiment-ils ? Un mariage avec une autre femme aura-t-il lieu ? Et ces deux enfants perdus dans la tempête, ce petit garçon qui fait le salut nazi, que deviennent-ils ? Quel rôle ont-ils dans l'histoire ?
Vous l'avez compris, un grand film mystérieux et prenant. Un personnage principal complètement paumé entre ses certitudes, ses craintes et ses rêves. Au bord de la folie parfois et au côté d'une femme aimée ou fantasmée qui ne cesse de lui échapper. Du romantisme dans la science et réciproquement et un final profondément mélancolique et elliptique.
J'aime beaucoup l'avis de François Cau dans Mad Movies : "La conclusion touche à un spleen mélancolique inespéré, et justifie ce sentiment de s'être trompé de salle quatorze fois d'affilée et de ne plus oser sortir". Ce film vous piège ou vous exclut (une seule personne est sortie)
P.S. : Je trouve que Sofia Coppola aurait été bien inspirée de choisir l'acteur Jan Bülow pour être son Elvis. Oui je sais, je suis forte en ressemblances.
Commentaires
Hésitation, là encore. Je suis inquiet à l'idée que ce soit trop nébuleux. Et je manque de temps...
C'est nébuleusement somptueux (mais je doute que tu t'emballes comme moi).
Je t'admire d'avoir pu faire un billet sur un tel film ! Je crois que je n'y comprendrais rien. En tout cas, tu me fais découvrir "les barricades mystérieuses" de Couperin, c'est très beau.
Parfois être perdue, ça ne prend pas du tout. Ici j'ai été aspirée.
Les barricades, un de mes morceaux classiques préférés. Une merveille n'est-ce pas ?