IL RESTE ENCORE DEMAIN
de Paola Cortellesi ***
Avec Paola Cortellesi, Valerio Mastandrea, Romana Maggiora Vergano
A Rome à la fin des années quarante Delia vit avec son mari Ivano et leurs trois enfants.
En plus de ses trois petits boulots mal rémunérés, Delia doit s'occuper de la maison et de son beau-père grabataire, un type odieux aux mains baladeuses. Elle doit aussi faire face à ses deux fils, deux idiots pas très intéressants qui ne cessent de se battre et s'insulter, sa grande fille à qui elle fait honte et qui semble pressée de se marier avec le bellâtre du coin (sans doute pour échapper à l'ambiance du foyer). Quant à Ivano, il est un mari violent qui en guise de réveil matinal gifle Delia. Parfois il la secoue quelques secondes dans le lit en lui assurant : "tu vois que je t'aime encore". Ses accès de violence et d'agressivité tombent sans prévenir et sans la moindre raison. Dans ce cas, les enfants sont priés de regagner leur chambre, d'attendre que l'orage soit passé pour constater les dégâts sur le corps ou le visage de leur mère.
Pour parler des violences faites aux femmes, l'actrice réalisatrice qui s'est donné le premier rôle de sa première réalisation choisit de placer son histoire dans l'immédiat après-guerre. Certains hurlent au manque de discernement. Je trouve que c'est aussi une façon de dire que les choses n'ont hélas pas beaucoup changé et que les femmes meurent encore sous les coups de leurs compagnons. La sortie du film qui a beaucoup ému les italiens coïncide avec un féminicide survenu le 11 novembre dernier. Giulia Cecchetin, 22 ans, a été assassinée à coups de couteau par son ancien compagnon. Cet assassinat a permis d'ouvrir pour la première fois en Italie, un débat sur les féminicides et le patriarcat.
Paola Cortellesi est également présentatrice à la télé, chanteuse et humoriste. Ce sont peut-être ces casquettes multiples qui font osciller son film entre néoréalisme et comédie. En tant qu'italienne, on ne peut lui reprocher de rendre un hommage au cinéma des maîtres en situant son film dans la période exacte où ce mouvement cinématographique a fait son apparition. A ce mouvement succèderont les comédies "à l'italienne". Le film est un mélange des deux genres, ni génial ni certainement indigne. Plutôt un bel hommage je trouve et j'ai aimé ce noir et blanc, cette cour intérieure tellement italienne où les commères sont témoins de tout, où la vie semble se dérouler en communauté.
Delia trouve quelque réconfort auprès de son amie, témoin des violences dont elle est victime. Elle s'occupe aussi d'organiser les fiançailles de sa grande fille avec l'élu de son coeur jusqu'à ce qu'elle réalise que sa fille s'engage sans doute dans la même voie qu'elle auprès d'un mari autoritaire qui ne tardera peut-être pas à devenir violent. La manière dont elle s'occupe de cette union est un peu radicale et plonge sa fille dans un profond chagrin. Et lorsque Delia reçoit une mystérieuse lettre dont on ne connaît pas le contenu, on se dit que son destin va peut-être enfin changer. D'autant que parfois elle rencontre un garagiste (aux dents pourries) qui lui fait de l'effet et qu'un GI la drague ouvertement et veut l'aider. Entre temps, le beau-père grabataire prodigue des conseils à son fils : pourquoi bat-il sa femme si souvent ? Elle ne peut ainsi comprendre le message ! Il faut la frapper, comme lui la fait jadis, mais de temps en temps, à bon escient. Ce n'est ainsi que la femme peut comprendre.
Beaucoup de reproches sont faits à la réalisatrice (en France) comme de contourner les scènes de violence en les chorégraphiant. En effet, chaque fois qu'Ivano va la battre, il invite Delia à danser. Les chansons populaires sans doute très connues en Italie rythment le film et la violence. J'ai trouvé cela plutôt malin de parler de drame de façon légère. La légèreté n'atténue en rien la force du propos.
Et parce que la lettre mystérieuse le reste jusqu'à l'épilogue, on se dit, on espère que la soumise et obéissante Delia va enfin réagir, se rebeller comme le lui intime également sa fille. Et alors que le film ronronne un peu et maintient un suspense dont on est persuadé qu'on l'a démasqué depuis longtemps, la réalisatrice réalise une prouesse, un petit miracle. En nous embarquant sur une fausse piste, elle réussit un final éblouissant. Les dix dernières minutes m'ont fait battre le coeur à tout rompre et les larmes ont jailli. J'ai failli applaudir. Bien malin celui qui a découvert le pot aux roses...
Commentaires
Très envie d'aller le voir celui-ci.
Je comprends. Le programmateur de ton ciné a dû détester :-)
J'ai beaucoup aimé jusqu'à cette fin certe maline mais on se dit qu'un suspense pour si peu c'est dommage ; résultat on revient en arrière, le jeu façon fausse piste fait un peu arnaque. Dommage. Néanmoins, superbes portraits de femmes...
Pour si peu ??? Je me suis étranglée en lisant cela. ça se voit que tu fais partie de la moitié de la population qui a des droits acquis.
Et en refaisant un retour arrière, lorsque les patrons sont attablés, ils sont dérangés par un gars qui colle une affiche... Petit indice.
Et je trouve que les fausses pistes font le sel du film.
Ce film a l'IMMENSE mérite de faire parler des femmes
J'encourage tout le monde à aller le voir
Il dérange les hommes en général Tiens Tiiens ...
Il y a eu des avancées (fin du film) entre autres
Heureusement
J'ai envie de dire
C'est le minimum syndical
Mais il y a encore du boulot !!!!!
Cela m'a bouleversée de voir pour quoi elle se lève ce matin là. Alors qu'elle pourrait "se contenter" de fuir le maltraitant.
Et oui, j'ai bondi de ma chaise en lisant "un suspense pour si peu".
J'ai l'impression que ça ne dérange pas les hommes, ils ne sont pas concernés puisqu'ils ont tous les droits acquis à la naissance.
Bon aussi celui d'être réquisitionnés en temps de guerre et pour ça, compassion éternelle.
"Des droits acquis"... Ben c'est mon tour de m'étrangler... Tu me juges souvent très gratuitement et sans me connaître... Moi je ne parle que cinéma et donc des films, je ne juge pas les personnes et/ou rédacteurs...
Bravo, tu es exemplaire.
Dire "tout ça pour si peu" compte tenu de l'épilogue, et bien cela m'a choquée. Car oui le droit dont il est question était (à l'époque du film en tout cas) acquis pour les hommes.