PAS DE VAGUES
Teddy Lussi-Modeste ***
Avec François Civil, Shaïn Boumedine, Bakary Kebe, Toscane Duquesne, Mallory Wanecque
Julien est arrivé récemment dans un collège "difficile". Il est prof de français, jeune et idéaliste.
Première boulette : il invite les cinq meilleurs élèves de sa classe dans un fast-food.
Deuxième boulette : pour illustrer les propos et l'astéisme (cherchez) d'un poème de Ronsard qu'il étudie en classe, il fait un compliment dissimulé à Leslie, jeune fille timide au physique aussi ingrat que ses cheveux sont gras, qui se transforme dans l'esprit machiavélique des ados en une remarque déplacée.
Dans cet établissement toujours au bord de l'implosion, la machine s'emballe. Julien est accusé de harcèlement. La hiérarchie en la personne du Principal souhaite ne pas faire de vagues et étouffer vite fait l'affaire peut-être pour s'assurer un avenir plus radieux dans un autre établissement scolaire. Mais, menacé à plusieurs reprises par le frère de Leslie, Julien de plus en plus inquiet réclame une protection. Tour à tour, ses collègues d'abord solidaires, le lâchent.
Le réalisateur s'inspire de sa propre expérience puisqu'il a été lui-même professeur de lettres et qu'il reprendra du service dans un collège à la rentrée prochaine. Au-delà de ce malheureux évènement personnel, le film tombe à point nommé et on ne peut s'empêcher de penser au sort qui a été réservé à Samuel Paty et Dominique Bernard. Le film (et le titre) évoque(nt) le (hashtag) #pasdevagues et le Mouvement des stylos rouges initiés par les profs pour évoquer l'abandon de leur hiérarchie lorsque surviennent des problèmes. Et le réalisateur décortique avec précision la mécanique implacable qui se met en place accentuée, aggravée par la rumeur qui gronde, enfle et fait de Julien un coupable auquel on finit par ne plus accorder aucune indulgence. Tout lui est reproché, la proximité qu'il essaie d'établir avec les élèves, le moindre mot est détaillé, détourné de sa signification. Le Rectorat (scène immonde face à une fonctionnaire zélée ; "c'est moi qui pose les questions" dira-t-elle comme si Julien était au tribunal) ira jusqu'à lui reprocher de ne pas avoir révélé son homosexualité. On en arrive à dire que rien n'empêche un homosexuel d'agresser une personne du sexe opposé et Julien se désolera : "pour une fois que cela m'aurait été utile d'en parler".
J'ai trouvé que tout sonnait vraiment juste dans ce film où la parole de l'enseignant et celle des élèves est recueillie même si le film se concentre surtout sur les effets ravageurs de la situation sur le mental de Julien dont chaque imprudence ou maladresse se retourne contre lui mais aussi sur sa vie privée. Puisqu'on sait dès le départ qu'il est innocent, c'est lui la victime. Les réseaux sociaux ont également leur rôle à jouer dans l'affaire.
Il se trouve par ailleurs que Leslie n'a pas de père, une mère démissionnaire et un frère violent qui lui fait peur. Sans doute a-t-il dû très jeune assurer des responsabilités familiales, mais il terrorise véritablement tout le monde (l'acteur est effrayant).
Le film démontre impeccablement, avec précision et objectivité à quel point l'école n'est plus le sanctuaire rassurant autant pour les élèves que pour les enseignants. C'est d'une tristesse !
Le film asphyxiant, à la tension croissante, tétanise à plusieurs reprises. La juste interprétation de François Civil qui perd pied peu à peu tout en tentant de continuer à faire face est impressionnante, loin de son emploi de beau gosse (même s'il l'est toujours) sympa et rigolo.
A voir.
P.S. : Teddy Lussi-Modeste est également l'auteur du formidable Jimmy Rivière que je vous recommande +++ (https://youtu.be/V1Kfk5vW6Y4).
Commentaires
Entre "Salle des profs", "Pas de Vagues" et il y a pas si longtemps "Un métier sérieux" (sans compter "Ducobu"... ou pas), on dirait que les profs deviennent le cœur de cible des réalisateurs en ce moment. Moi, les films qui me rappellent le boulot, ça me déprime. Celui-ci me rappelle un peu le pitch des "risques du métier" avec Brel.
Comme je te le disais ailleurs, il faut effacer jusqu'au souvenir de Un métier sérieux. Quant à Ducobu, la BA du dernier me ferait presque pleurer...
C'est dommage que ça te déprime car cela met en lumière le métier. Salle des profs et Pas de vagues sont les meilleurs.
Les hasards des sorties sont parfois, souvent, toujours mal organisées... Je parie qu'on ne va plus entendre parler des profs pendant longtemps.
J'ai encore L'affaire Abel Trem à mon programme.
Oui le pitch évoque Les risques du métier mais je crois me souvenir que c'était beaucoup plus manichéen et d'une baffe magistrale du grand Jacques... qui m'avait bien choquée.
Cayatte, c'est sûr, ne faisait pas dans la demi-mesure.
La joyeuse époque où les filles se prenaient des mandales dans les films sans raison et sans que ça défrise personne. Celle de Piccoli à Bardot dans Le mépris était magistrale.
Pinoteau en a même fait un film.
C'est vrai, La baffe ! Elle était magnifique celle-là !
J'ai entendu deux fois le réalisateur parler de son film et de sa propre expérience. Il l'explique bien. Je ne pense pas que j'irai le voir, ça va trop me déprimer. J'ai des enseignants dans ma famille, je sais à quel point c'est n'importe quoi et de pire en pire.
Oui il cause bien le Teddy mais j'ai dû arrêter le poste l'autre jour car avec Léa Salamé, ils racontaient tout.
Ce film est très stressant en effet mais quand on sort, on respire.
"tout sonnait vraiment juste dans ce film" et c'est bien là le problème de cette société-là. Surtout quand un prof essaie de faire participer ses élèves, peut-être de façon pas trop académique, d'ailleurs, on ne peut plus sortir de l'académique.
Un beau film, bouleversant et de plus en plus stressant et oppressant.
François Civil, impec... mais ça je le savais, j'y suis aller pour lui aussi...
Un métier sérieux, moi, j'avais bien aimé... Par contre honte sur moi, si si j'assume l'auto-flagellation, j'ai raté les précédents Ducobu, je crains du coup de ne pas comprendre le quatrième opus (que de retard), ça fait mal à dire, mais je vais devoir m'abstenir sur ce coup-là...
Sinon, en plus de Civil, j'ai bien aimé également les gamins. Ils jouent juste aussi...
Oui tout va bien dans ce film où tout va mal, François, Walid, Océane et les autres...
Je me demande si je ne préfèrerais pas Ducobu à Un métier sérieux que j'avais trouvé détestable.
Mais je trépigne, j'attends, j'espère une "Nuit Ducobu" où l'on pourrait enchaîner les 4 en s'empiffrant de sucreries et remettre nos pendules à l'heure (d'ailleurs à ce propos... encore une de plus en moins).
évidemment on pense à "La Salle des Profs", je dirais que ce prof est bien plus humain et faillible mais dans le même temps un prof aussi naïf laisse un peu pantois, au point qu'il se victimise un peu trop facilement. Mais ça reste un film intéressant.
Vu mais pas encore chroniqué. terrible et très bon film.
Je me demande comment, en quelques décennies, on a pu passer "des choristes", ou c'est le "corps professoral" qui est "tyrannique" à celui de "pas de vagues" où les élèves sont les pires bourreaux. Quelle déchéance sociétale.
Bien vue cette remarque sur l'évolution de la perception du métier. C'est à l'image de sa considération dans la société actuelle. Et on se demande pourquoi la profession n'attire plus malgré les vacances et la "sécurité" de l'emploi.
Sans parler des parents. Quand ils interviennent c'est rarement pour remettre les palmes académiques.
"De mon temps" pour les parents la parole des profs et instits étaient sacrées. C'était l'excès inverse.
Amen.
Je pense forcément à La chasse avec ce pitch. Même si la son innocence semble indiquée dès le début. J'ai hésité à le voir mais je pense que je vais passer mon tour.
La chasse allait encore plus loin il me semble mais ce film est très stressant.
Bonsoir Pascale, qui nous a pas mal secoués Ta d loi du cine et moi. C'est un film qui ne donne vraiment pas envie d'être prof. Et en effet, le frère de Leslie fait peur. J'en tremble encore. Je dois écrire un billet sur ce film. Bonne soirée.
Bonsoir dasola. C'est un film très stressant.
Td... a dû te tenir la main.