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ANORA

de Sean Baker ****(*)

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Avec Mikey Madison, Mark Eydelshteyn, Yura Borisov, Karren Karagulian, Vache Tosmasyan

Anora souhaite qu'on l'appelle Ani. Elle y tient, elle insiste.

Elle exerce avec beaucoup d'enthousiasme et de talent le métier de strip-teaseuse (voire un peu plus) dans un bar de New-York. En une soirée les clients défilent dans un petit salon privé où pour quelques billets elle se frotte sur l'entre jambes de types en extase. Jusqu'au jour où Vanya un très jeune homme russe de 21 ans demande à rencontrer une escort qui parle sa langue. C'est le cas d'Ani. Les deux jeunes gens passent une soirée ensemble, puis un peu plus. Puis le jeune homme lui demande de l'accompagner pendant une semaine contre rémunération et enfin lui propose de l'épouser. Eblouie par le luxe qui entoure le garçon qui est le fils d'un richissime oligarque russe mais aussi sincèrement amoureuse de Vanya, Ani accepte... Nous n'en sommes qu'à peine au tiers du film car les parents du garçon restés à Moscou vont débarquer et tenter de tout faire pour annuler ce mariage.

Le film se décompose clairement en trois parties. La première voit les deux jeunes gens alterner les fêtes où l'alcool et la drogue coule et se sniffe à fond et les parties de jambes en l'air aussi joyeuses que déchaînées. C'est dans cette partie (un peu longuette) que le réalisateur se fait un poil complaisant voire voyeur en insistant lourdement sur les fesses parfaites, les twerks frénétiques de son actrice principale et les ébats fougueux des deux choupinous. Et pourtant déjà on est emballé par l'énergie qui se dégage et surtout on s'attache à ce petit couple sexuellement très compatible qui entre deux secousses se met à jouer à la Play ou regarder la télé. La pretty woman consentante et enthousiaste est emmenée en jet privé à Las Vegas et se voit passer la bague au doigt à plusieurs carats. Le prince charmant traite sa Cendrillon comme une princesse. Tout va bien, c'est la fête, c'est la joie, c'est l'amour. On croit au conte de fées mais on se doute que la belle mécanique va se gripper.

Tout se complique lorsque les parents de Vanya apprennent le mariage. La mère, hystérique au bout du fil envoie Toros chargé de surveiller le garnement lors de ses escapades à New-York régler l'affaire. Occupé ailleurs, Toros a quitté Vanya des yeux et il charge deux hommes de mains, Garnyk et Igor de le ramener à la raison. C'est à partir de là que tout part véritablement en cacahuètes.

Red rocket et The Florida project les précédents films de Sean Baker évoquaient déjà la vie et les galères de petites gens qui essayaient de s'en sortir. Ses personnages avaient déjà quelques caractéristiques qui les faisaient sortir de l'ordinaire, mais Sean Baker passe clairement la vitesse supérieure en imposant ici une jeune femme qui semble à peine sortie de l'enfance, issue du trottoir, à de puissants et vilains russes. La deuxième partie enferme Anora avec deux russes, puis trois dans la luxueuse demeure de Vanya et face à la réaction surprenante de ce dernier, elle doit se débattre (dans tous les sens du terme) seule contre les molosses qui font sans doute trois fois sa taille et son poids. La scène qui dure environ 20 minutes (je l'ai lu, je n'ai pas regardé ma montre) est d'une violence et d'une drôlerie inimaginables. Sommés de ne pas lui faire de mal, les trois sbires estomaqués se voient forcés de résister comme ils peuvent au séisme provoqué par Anora, à ses coups et aux tombereaux d'insultes qu'elle déverse.

La troisième partie est une course poursuite réjouissante et trépidante qui accumule les surprises et les rebondissements. Certains la trouvent trop longue, il n'en est rien. Chaque nouvelle péripétie est étonnante, révèle peu à peu un peu plus la couardise et l'immaturité de Vanya mais surtout confirme un talent exceptionnel d'écriture de scenario. S'y ajoutent une mise en scène sans faute et une belle image "propre".

Et sinon c'est quoi une Palme d'or ? Je ne trouve pas vraiment de définition mais depuis M.A.S.H. (1970), une palme ne nous avait sans doute jamais fait autant rire. Et depuis Pulp fiction (1994, Président du jury, Clint) n'avait sans doute pas autant secoué le cocotier du ronron des films d'auteur souvent primés. Après recherche réflexion, je constate que The square ou Titane étaient aussi des choix plutôt surprenants, mais on ne va pas chipoter. Anora est une bombe et on sort de la salle époustouflé, galvanisé, prêt à dévorer le monde. Et pourtant, pendant un peu plus de deux heures on est secoué par ce film constamment imprévisible qui commence comme une rom-com, se poursuit en baston puis en cavalcade pour se calmer étrangement. L'amour n'est peut-être pas là où on l'imagine et il faut être un peu plus attentif-ve.

La brochette de personnages n'est pourtant pas la plus sympathique du monde : une pute (mais pas vraiment) ordurière, un petit con suffisant, des sbires bas de plafond, des mafieux, des riches convaincus que tout leur est dû et permis, une jeunesse abrutie... mais par un tour de passe passe maîtrisé par un réalisateur malin qui aime ses personnages et nous les fait apprécier, on s'attache et on s'abandonne (lol). Sans oublier la force d'un casting étincelant, énergique, admirablement dirigé où brille Mikey Madison la tornade, entourée par beaucoup de garçons qui parviennent à exister.

En plus de l'étonnante et volcanique Mikey Madison (que Leonardo DiCaprio faisait taire au lance-flammes dans Once upon a time... in Hollywood) Mark Aleksandrovich Eydelshteyn dans le rôle du petit con, acteur russe de 22 ans, mélange avantageux du physique et des bouclettes de Timothée Chalamet et Jacob Collier et Youri Aleksandrovitch Borissov autre acteur russe (vu dans Compartiment N° 6 et Le capitaine Volkonogov s'est échappé) craquantissime (ne le perdez pas des yeux pendant le film, isolé dans son coin : il joue) sont à surveiller de près. Karren Karagulian (présent dans tous les films du réalisateur), dans le rôle de Toros, toujours au bord de l'implosion tant il a peur de perdre son job est également irrésistible de drôlerie.

Et attention, après nous avoir fait rire aux éclats, secoués dans tous les sens, Sean Baker qui maintient sans faiblir les rebondissements jusqu'au tout dernier moment, nous terrasse dans une ultime scène, une dernière image déchirante qu'on attendait et qu'on espérait plus.

Alors oui, une Palme d'or, je valide !

Commentaires

  • Je ne serais pas aussi dithyrambique, c'est drôle 15mn, la première partie est redondante, la seconde partie reste aussi longue et n'est assurément pas une comédie, tragi-comique peut-être, très pathétique surtout entre la lâcheté et l'immaturité de l'un, l'énorme naïveté de l'autre. C'est un bon film mais loin de valoir une palme, mais sublime révélation de Mikey Madison, impressionnante et cela vaut déjà le détour

  • Absolument pas d'accord donc. Je suis sortie de cette séance enthousiasmée par ce que peut procurer le cinéma. Mais je suis d'accord les personnages principaux sont lâche et naïve.

  • Tempête d'émotions en pagaille ! Je ne pense pas être autant passé du rire aux larmes aussi brutalement devant un film depuis bien longtemps. Mikey est éblouissante. J'ai commandé les deux autres films de Baker dont tu parles.

  • Oui ça déménage.
    Cette dernière scène...
    Tu as bien fait de commander.

  • Incontestablement, il sait finir un film.

  • La vache oui... Je suis tombée de mon fauteuil.
    Vous retourner le coeur à la dernière seconde, c'est pas courant.

  • Très beau billet. Je valide tout...

    Qu'est-ce qu'une palme d'or ? On s'en fout du moment que le film est bon qu'il me fait rire ou pleurer ou les deux...

    Trois parties, une première sensuellement triste, une seconde tristement drôle, et une troisième émotionnellement triste. 1+1+1 égal un très très bon moment en salle...

    Ah oui, j'oubliais... les fesses de Mickey Madison, je valide aussi...

  • Merci. Je n'ai rien à ajouter. :-) sauf que tu as raison c'est drôlement triste, tristement drôle. Et cette fin... coeur !

  • oui le film est bon mais le précédent Sean Baker était bien plus réussi... red rocket !
    sinon la vraie palme d'or arrive mercredi... le digne héritier de REQUIEM FOR A DREAM de Darren Aronofsky, et de l'œuvre de David Cronenberg le nouveau film de Coralie Fargeat THE SUBSTANCE alors là j'attends ton billet avec impatience

  • Je ne suis pas d'accord. Anora dépasse largement Red rocket à tous points de vue.
    J'irai voir The substance, sans me précipiter.

  • Moi aussi j'ai préféré red rocket et The florida project, mais Anora reste haut quand même. Je crois que j'aime vraiment les films de Sean Backer !

  • Youri Aleksandrovitch Borissov interprète mon personnage préféré dans ce film. J'ai passé un très très bon moment devant cette palme, la fameuse scène de 20 min est virtuose et la scène de fin m'a brisé le cœur.

  • Youri est en effet remarquable. J'aimerais presque revoir le film pour ne pas le quitter des yeux.
    La scène de destruction baston est formidable et la fin met KO.

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