LA CHAMBRE D'À CÔTÉ
de Pedro Almodovar
Avec Tilda Swinton, Julianne Moore, John Turturro, Alessandro Nicola
Mon cher, Mon Très cher Pedro,
Voici l'article le plus difficile que j'ai à écrire je crois depuis que ce blog est blog (18 ans en mars, je vais encore oublier son anniversaire et l'indique donc ici). Depuis quarante ans (et oui) voir tes films est un rendez-vous, incontournable, immanquable. Récemment lors d'un sondage dans un Festival on m'a demandé : "quel est votre réalisateur préféré ?". Le premier nom qui m'est venu à l'esprit est Pedro Almodovar. C'est ton nom. Je ne dis pas cela pour te flatter, c'est la vérité. Evidemment ce blog s'appelle Sur la route du cinéma en hommage à qui tu sais, mais je ne pouvais décemment pas l'appeler Femme(s) au bord de la crise de nerfs ou Attache-moi ! Nous sommes d'accord. En 2014, (tu t'en souviens, tu m'as fait coucou ?) j'ai croisé ta route et j'ai assisté au tournage selon ta relecture de La sortie de l'usine Lumière. Pur instant de joie (l'original date de 1985). Depuis quarante ans donc, je m'engloutis régulièrement dans ton univers coloré, musical où les femmes sont filmées comme par nul autre, où la générosité, l'empathie, la compassion rayonnent et se propagent à travers l'écran. Si Les amants passagers fut un peu en dessous des grandes émotions habituelles, il était comme une récréation et au moins il était drôle. En 2019 tu m'as mise KO avec un hymne au cinéma, un film sombre et lumineux, un cadeau. Le plus beau, le plus grand film de cette année là fut pour moi Douleur et gloire. Tu y métamorphoses toutes les angoisses provoquées par la maladie, la douleur, la crainte de la mort en une somptueuse ode à la vie, transcendée par un acteur en apesanteur. Entre les deux, quelques merveilles qui culminent dans Talons aiguilles, Tout sur ma mère, Parle avec elle, Julieta... je peux en fait tous les citer. Tout ce qui m'attire, me plaît, me comble dans ton cinéma c'est cette générosité, cette fraternité (au féminin le mot est beurque), l'amour en cascade, la douceur, la bonté dans un monde et des situations de brutes parfois.
Et patatra... je frappe à la porte de La chambre d'à côté qui s'avère être la chambre du dessus mais ce détail est sans grande importance et... je me tortille, je m'impatiente, je m'ennuie, je ne ressens rien, je suis frustrée, agacée, désolée, triste, triste, triste de ne pas aimer... Pour la première fois je n'aime pas un de tes films, un film de Pedro Almodovar. La bande-annonce m'avait impressionnée la première fois que je l'ai vue malgré ma surprise de découvrir des actrices anglo-saxonnes. A force de voir et revoir cette B.A. je me suis demandée ce que le film allait bien pouvoir raconter de plus. J'avais confiance et pourtant : pas grand chose de plus, tu ne racontes rien. En entrant enfin dans la salle et comme j'ai dû reporter de plusieurs jours la séance, j'étais impatiente. Dès le générique, les premières images et les premières notes d'Alberto Iglesias particulièrement inspiré, tout allait bien. La musique finira par devenir envahissante et plus expressive que les images et l'histoire. Et peu à peu, tout va mal. Je m'accroche. L'émotion va finir par me gagner, m'envahir comme habituellement, j'essaie de me convaincre. Rien. Electrocardiogramme plat.
Ingrid et Martha, ont jadis été des amies très proches lorsqu'elles ont travaillé pour le même magazine. Leurs routes se sont séparées. Ingrid est devenue romancière à succès, Martha reporter de guerre. Par hasard Ingrid apprend que Martha est à l'hôpital. La scène est déplaisante. Lors d'une signature dans la file des lecteurs, une femme en bouscule une autre (beaucoup plus jeune) et passe devant tout le monde et apprend à Ingrid que "Mâââârthâââ est à l'hôpitââââl. Oh pââârdon tu ne le savais pââââs". Ingrid se rend à l'hôpital, les retrouvailles sont sincèrement enthousiastes. Martha est atteinte d'un cancer du col de l'utérus. Le peu d'espoir lui vient d'un traitement pour lequel elle sert de guinea pig qui hélas ne fonctionne pas sur elle. Refusant de reprendre les traitements (sans en informer les médecins) qui ne lui accorderaient que quelques mois de sursis, de subir une agonie dans les pires souffrances, une fin de vie avilissante, elle demande à Ingrid de l'accompagner dans ses dernières semaines et d'être là juste là lorsqu'elle prendra la pilule létale qu'elle s'est procurée sur le darknet. Le code est que lorsqu'Ingrid découvrira la porte de la chambre fermée, c'est que Martha aura pris le médicament et mis fin à ses jours. Voilà pour l'histoire. J'ai compris ton angoisse de plus en plus récurrente au fil de tes films à l'approche de la mort, de la souffrance. Mais le thème de l'euthanasie, du choix de mourir dans la dignité qui est refusé dans de nombreux pays n'est pas traité. On sort du film sans la moindre interrogation parce qu'on a juste assisté à la rencontre bavarde, intello de deux bourgeoises qui font du mieux qu'elles peuvent pour cacher leurs émotions comme si c'était une tare de pleurer à l'approche de la mort. La sienne ou celle d'un(e) proche que l'on aime. Sauf que des émotions c'est cela que l'on attend quand le nom de Pedro Almodovar s'affiche. Notons quand même que l'Espagne est très en avance sur le sujet. Pourquoi alors choisir de NE PAS le traiter en t'exilant aux Etat-Unis ? Répéter au moins trois fois que c'est illégal, que la pilule a été trouvée sur le darknet, quel intérêt ? D'autant que les femmes sont entourées de psychotropes divers et variés qui auraient largement de quoi assommer un troupeau d'éléphants.
Les deux femmes partent donc dans une maison improbable située à deux heures de route de New York. Une sorte de palais d'architecte en pleine forêt où seul le chant des oiseaux "perturbe" le calme. Je me suis demandée quel était l'intérêt de louer une maison de cette taille pour y être à deux. La maison où se déroule l'essentiel du film, censée se trouver près de Woodstock se trouve à San Lorenzo de El Escorial près de Madrid. L'intérêt que les deux amies ne soient pas espagnoles m'échappe totalement.
A cela s'ajoute la désagréable impression que pour mourir dans de bonnes conditions même si c'est en dehors de la légalité, il vaut mieux être riche. Puis écouter ces deux bourgeoises qui ne cessent de parler pour ne rien dire ou revenir sur le passé qu'elles se racontent en détail devient très lassant. D'ailleurs pourquoi alourdir encore le film de flash-backs inutiles et explicatifs (et horriblement mal joués... la scène de l'incendie, au secours, j'avais envie de me cacher dans un trou et celle de la guerre, absolument sans intérêt) puisqu'Ingrid et Martha nous racontent tout au cours de leurs interminables conversations insignifiantes. Et le film m'est dès lors apparu terriblement bavard, intello, bourgeois et très froid malgré les couleurs vives tellement almodovariennes. J'ai trouvé Martha cruelle dans sa façon de "traiter" Ingrid parfois au cours de ce long requiem avec mort annoncée.
Les deux actrices ? Deux professionnelles qui font un travail propre mais sans âme. Une espèce de cabotinage maîtrisé, mais à aucun moment je n'ai senti l'alchimie comme si elles jouaient l'une à côté de l'autre mais jamais ensemble. Je n'ai pas cru un instant à cette amitié ressurgie de nulle part. Je n'ai pas davantage cru à la fragilité de Martha/Tilda ni à la douceur d'Ingrid/Julianne. Il manque le lyrisme, l'exaltation, la passion, les sentiments impétueux tout ce qui fait que j'aime habituellement ton cinéma. Et ces scènes de débutant qui m'ont exaspérée : l'oubli de la précieuse pilule à New York, la fouille de l'appartement, le providentiel coach sportif qui devient en un claquement de paupière humide le confident d'Ingrid, la porte de la chambre fermée par inadvertance...
Il me reste deux scènes fortes qui ne mettent pourtant pas en scène les deux amies. Un comble non que les deux scènes que je préfère sont celles des garçons ? Celle où John Turturo qui a été l'amant des deux femmes se fait le porte parole de ton pessimisme qui va bien au-delà de la crainte de mourir que sont la montée des extrêmes droites à travers le monde et le changement climatique. Et celle du commissariat avec Alessandro Nivola policier au fanatisme religieux. Mais ces moments et ces personnages caricaturaux arrivent quand même comme deux gros cheveux sur la soupe au milieu du thème essentiel qui n'est jamais traité. Et que dire de la façon pataude dont est présentée la fille que Martha a eue et avec qui elle n'a jamais réussi à créer un lien ? Rien. Et pourquoi ces citations multiples, répétées, insistantes du film de John Huston Les gens de Dublin (titre de la nouvelle dont il est adapté : The dead...).
Tu nous as habitués aux belles images, aux intérieurs chics et soignés, à l'élégance de ta réalisation mais surtout aux grandes histoires d'amour, d'amitié, de filiation, de paternité et de maternité, des histoires fortes, intenses qui nous faisaient trembler d'émotion. C'est ce qui est le plus incompréhensible voire impardonnable, cette absence totale d'émotion, cette impossibilité d'entrer en empathie avec ce duo de personnages. Les yeux restent secs et le coeur froid,
J'ai juste envie de te dire pour conclure, reviens en Espagne Pedro. L'Espagne et la langue espagnole nous manquent comme jamais dans ce film chic et terne. Marisa Paredes n'est plus là, mais il reste Penelope, Antonio, Victoria, Cecilia, Carmen, Lola, Rossy et les autres, comme moi ils t'aiment et t'attendent et tu as sans doute encore bien des choses à nous raconter avec ces acteurs, tes amis, tes muses pour ambassadeurs.
Commentaires
Et bien dis donc, quelle déception ! J'avoue que j'étais assez méfiante devant ce film et les deux actrices. Je les apprécie, mais je ne les sentais pas là-dedans. Dommage, le sujet méritait mieux.
Oui c'est horrible, je suis triste.
J'ai été soft mais je les ai trouvées insupportables les deux snobs.