SPECTATEURS !
d'Arnaud Desplechin ***(*)
Avec Sam Chemoul, Salif Cissé, Louis Birman, Milo Machado Graner, Micha Lescot, Françoise Lebrun, Kent Jones, Mathieu Amalric
Découvrir, admirer, apprendre... parfois il faut, c'est obligatoire c'est au-delà de sa propre volonté, voir le même film trois fois.
La première pour découvrir, la deuxième pour admirer, la troisième pour apprendre ! C'est ce que révèle Paul Dedalus (le double d'Arnaud Desplechin) à deux jeunes filles dont une, pffff, ne pleure jamais au cinéma et l'autre parfois. J'aurais pu ajouter une quatrième fois pour profiter. Ne plus se préoccuper du sens, de l'histoire, juste profiter, ressentir, partager, entrer dans l'écran qui devient plus grand que la vie, plus grand que le film. Et pour savourer à nouveau, une scène, un plan, une réplique... Je peux faire ça, pas vous ?
Spectateurs ! est un Ofni, un objet filmique non identifié entre fiction et documentaire, une déclaration d'amour au cinéma, un essai, un bilan, un retour en arrière. Pourquoi est-ce que j'aime autant le cinéma s'interroge le réalisateur ? Et il nous retourne la question : pourquoi allons-nous au cinéma ? Si la réponse était simple, s'il y avait une réponse, peut-être cesserions-nous d'aller au cinéma. Je ne sais pas. Les réponses sont infinies, variables, personnelles.
En tout cas l'amour du cinéma de Desplechin est plus accessible que le requiem de Leos Carax qui se contentait à peu près de nous balancer des images de tous les dictateurs du monde et du XXème siècle sans explications et nous perdait totalement au bout de quelques minutes. Ici on frémit devant les extraits qui ne sont pas forcément ceux des films cultes du réalisateur mais un panel plus vaste, qui va de Cris et chuchotements (vous allez bien vous ennuyer dit l'ouvreuse du cinéma à un Paul Dedalus de quatorze ans) à Die hard, permettant à chacun d'y retrouver sa propre cinéphilie. Ce film on le regarde un sourire béat sur le visage en contemplant, en se disant "je me souviens". Desplechin ne célèbre pas uniquement les films mais aussi les salles de cinéma avec leurs fauteuils rouges (la plupart du temps).
Il nous emporte en décortiquant avec joie et admiration les premiers plans des Quatre cents coups de François Truffaut et j'assure que jamais jusque là je n'avais vu, regardé, interprété ces premiers plans ainsi. Bêtement en voyant les Quatre cents coups j'attendais la suite, que cesse le générique, que l'histoire commence enfin. Jamais je n'avais regardé cette Tour Eiffel qui apparaît puis disparaît et réapparaît. Ce passage nous dit aussi que les génériques font partie du film. Maudissons ensemble ceux qui se lèvent, prennent deux heures pour se rhabiller et nous empêchent de découvrir les informations, des pépites parfois qui défilent lors du générique.
Il nous amuse avec une scène de Coup de foudre à Notting Hill dans laquelle Julia Roberts s'interroge : pourquoi les hommes sont-ils obsédés par les seins des femmes ? Hugh Grant soulève les draps et regarde. Et nous voilà face à Hugh Grant, la seule personne au monde à avoir vu les seins de Julia Robert.
Il est encore plus drôle lorsqu'il évoque un épisode de son adolescence. Déjà cinéphile et amoureux du cinéma il anime le ciné club du lycée et projette Les petites marguerites, un film tchèque qu'il n'a pas vu et qu'il espère être à la hauteur de ses attentes et de sa curiosité.
C'est absolument magique la force des images, des mots, des plans, des mouvements de caméra, la beauté des acteurs, des histoires et des paysages... mais parfois utile, inoubliable, traumatisant, formateur et il s'attarde longuement sur le choc que fut pour lui (et pour tant d'autres) Shoah de Claude Lanzmann, 10 heures de film sans images d'époque, juste des témoignages de survivants parfois tournés sur les lieux des crimes nazis.
Ce film est enthousiaste et enthousiasmant. Chaleureux, généreux, cinéphile, sincère. L'émotion gagne par moments lorsque l'on voit Daniel Day Lewis foudroyant de beauté s'approcher de Michelle Pfeiffer dans Le temps de l'innocence ou que l'on aperçoit au loin Robert de Niro caracoler solitaire dans les montagnes de Pennsylvanie avec son reflet plus bas dans le lac du Voyage au bout de l'enfer.
Quand on aime la vie on va au cinéma disait une pub ancienne pour nous inciter à aller dans les salles. Desplechin n'oublie pas le cinéphile qu'il est, qu'il a hanté les salles depuis son enfance et que le cinéma ne serait pas grand chose sans ses Spectateurs !
Commentaires
Tu en parles très bien mais ça fait quelques années que j'ai délaissé le cinéma de Despleschin, je l'avoue.
Je comprends (Frère et soeur, Tromperie étaient des épreuves...) et je crois qu'il y a 50 % des films de Desplechin que j'apprécie et donc 50 % que je n'aime pas du tout... mais ce film ne ressemble en rien à tous les autres et c'est un beau voyage dans la cinéphilie des spectateurs.
Bien aimé, mais je trouve que Desplechin se fait plaisir surtout à lui, effectuant son introspection auto-cinéphile. Il oublie un peu qu'il doit parler (c'était son objectif a priori) au plus grand nombre. Néanmoins c'est passionnant et sincère et donc ça m'a personnellement plu.
Alors justement je trouve qu'il ne reste absolument pas auto centré sur sa propre filmographie et des films "intellos". Il y a du Bruce Willis et des spectateurs "ordinaires" qui évoquent leurs goûts.
Je trouve que ce film "parle" aux cinéphiles de base.