LE JARDIN ZEN
de Naoko Ogigami ****
avec Mariko Tsutsui, Ken Mitsuishi, Hayato Isomura
Yoriko est tout entière dévouée à son mari et son fils. Pour le dire différemment, elle est la boniche de ces deux hommes qu'elle sert comme des princes.
Dans une chambre isolée de la maison, elle s'occupe également de son beau-père grabataire en fin de vie et à la main baladeuse. Elle est hôtesse de caisse et doit subir au travail les agressions verbales quotidiennes d'un client (ce type est consternant et drôle). Son mari rentre du travail et s'occupe du jardin (mal organisé) envahi de fleurs face à la maison et le fils poursuit des études et reste affalé sur le sofa devant son portable sauf lorsqu'il s'agit de passer à table. Mais alors qu'à la télé un journaliste annonce que le taux de radiation provoqué par la catastrophe de Fukushima dépasse la norme, le mari prend la fuite sans explication et le fils quitte Tokyo pour ses études.
Enfin seule !
Yoriko réorganise la décoration de la maison, se débarrasse des fleurs, crée un kare-sansui (jardin sec) de toute beauté, devient membre d'une secte de l'eau, sympathise avec une collègue. La sérénité s'inscrit sur son visage jusque là tendu et impassible. Mais sans crier gare, le mari ressurgit des années plus tard, dit être atteint d'un cancer et son fils débarque avec une jeune femme sourde qu'il compte épouser. Avec son expérience acquise de liberté et en écoutant les conseils hilares de sa collègue, Yoriko va-t-elle encore se laisser faire sans réagir ? A nous de nous dépatouiller avec la complexité de la personnalité originale, opaque, mystérieuse de ce personnage lisse et doux en apparence, au bord de l'implosion en réalité.
Avec ce film et ce personnage hors normes aussi mystérieux que sympathique, parfois hermétique mais attachant, interprété magistralement par l'actrice Mariko Tsutsui (vu chez Koji Fukada) la réalisatrice dont nous découvrons le premier film en France sur les six qu'elle a réalisés, aborde tellement de thèmes sans jamais nous désorienter qu'on sort de la projection impressionné par sa richesse et sa profondeur.
Le premier concerne évidemment la condition de la femme au Japon. Yoriko est, en plus de son travail, la fée du logis, la cuisinière chargée de se lever plusieurs fois de table pour servir tout le monde, l'auxiliaire de vie d'un vieillard qui n'hésite pas à la tripoter. Il semble que le Japon continue de préserver cette vision patriarcale de la famille. A sa (relative) servitude, Yoriko toute en élégance et délicatesse doit également faire face à son obsession de l'ordre et de l'hygiène mais aussi à un mari qui manifestement la dégoûte (il suffit de la voir le regarder et l'écouter manger, on a envie de vomir avec elle). Son effondrement relativement maîtrisé lorsque son olibrius de mari (que par un tour de magie la réalisatrice ne rend pas antipathique) refait surface est à la fois comique et touchant.
Malgré la noirceur du propos, des intentions, des révélations, des relations, tout ici est calme et ordonné. D'autant que Yoriko puise des ressources insoupçonnées dans la fréquentation de sa secte. Les séances sont pourtant hilarantes lorsque les adeptes se mettent à prier, chanter, danser. Comme beaucoup de personnes Yoriko n'imagine plus la vie sans croire en quelque chose qui la dépasse. Et la gourou s'y prend admirablement pour vendre à sa disciple des litres et des litres d'eau précieuse ou un vaporisateur miraculeux qui doit réguler les effets de la ménopause. Yoriko n'est que reconnaissance et admiration pour cette femme qui la comprend si bien... Et un film qui évoque la ménopause, on n'en voit guère !
Sous ces aspects sages, lents, doucement rythmés (mais JAMAIS ennuyeux), ces couleurs pastels, l'humour noir est omniprésent mais d'une rare subtilité. La collègue aux conseils douteux dont nous découvrons tardivement des pans de son histoire personnelle, va-t-elle convaincre Yoriko de tuer son mari ? Comme toujours au Japon tout est tranquille et policé. Les pires vacheries sont assénées avec civilité. Et derrière le sourire de façade de la voisine, doucement remise à sa place lorsqu'on son chat vient perturber l'ordonnancement du jardin, par exemple, on lit toute la volonté d'intrusion, son désir d'en savoir plus sur cette femme énigmatique.
Il n'y a ni cri ni violence dans ce film, peu d'explications entre les protagonistes qui ne peuvent plus se supporter. Lorsqu'elles arrivent, elles sont cinglantes, cruelles et drôles.
Je ne peux que vous encourager à venir rendre visite à ce merveilleux jardin qui incite à la paix, à la réflexion, à la méditation. Ce film est inattendu et déroutant de bout en bout et je vous garantis qu'une japonaise qui danse le flamenco (très bien), vous ne l'avez jamais vu. Yoriko n'a pas fini de nous surprendre.
Commentaires
Effectivement énormément de thèmes sont abordés dans ce film...
Le patriarcat de la société japonaise, bien entendu... et ça met du temps à changer...
mais aussi la dérive sectaire, la solitude, le rapport à la vie à la mort...
La reconstruction après un drame (sa vieille collègue m'a fait beaucoup de peine)
mais aussi la beauté de ce jardin zen ou sec... Je devrais m'en faire un... c'est tellement beau, tellement calme, tellement apaisant...
Mariko Tsutsui a ce même rôle, légèrement ambiguë, que j'avais senti dans L'Infirmière... et je confirme, je n'avais jamais vu de japonaise danser la flamenco sous la pluie avant ce film...
Depuis "Le mal n'existe pas", voilà bientôt huit mois que je n'ai plus vu de film japonais au cinéma ! Bigre ! Celui-là pourrait me tenter si je trouve le temps au milieu de mes priorités (et de deux classiques nippons que j'ai une petite chance de rattraper prochainement).
Je n'ai vu que tes étoiles. Je viendrai lire la chronique ultérieurement, mais j'ai compris que ça valait le coup.