APPRENDRE/SING SING
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APPRENDRE de Claire Simon ***
Claire Simon plante ou plutôt promène sa caméra (car il s'agit d'une toute petite caméra de la taille d'un téléphone) à l’école Makarenko (pédagogue soviétique) d'Ivry-sur-Seine. Elle nous permet ainsi de pénétrer un univers qui nous est inconnu, presqu'interdit dès que la progéniture a été déposée devant la grille ou dans la cour et que le portail est fermé à clé. Et en voyant ce geste effectué par le directeur de l'école je me suis dit que l'école était un endroit où les enfants étaient protégés, en sécurité. Il ne nous reste que nos souvenirs de notre propre scolarité. Mais qui n'a pas rêvé de pouvoir observer ce qui se passe entre les murs, de 8 h 30 à 11 h 30 puis de 13 h 30 à 16 h 30 ? Grâce à la réalisatrice nous sommes autorisés à pénétrer l'enceinte sacrée et c'est passionnant. Tour à tour didactique, intéressant, drôle, un peu cruel parfois lorsqu'au cours des récréations certains enfants sont rejetés. Mais Claire Simon choisit qu'il n'y ait aucun commentaire (sauf pour une seule séquence pour nous expliquer pourquoi un enfant est obligé de venir se défouler dans la cour sur sa trottinette...) ni interview et simplement observe.
Rien de révolutionnaire dans cette école où les enseignants sont au service des enfants, particulièrement à l'écoute, plutôt calmes, bienveillants et d'une patience sans limites. Le dispositif peut paraître sincère lorsqu'il s'agit des enfants qui se fichent complètement qu'on les filme mais est-on sûr que les adultes ne perdraient pas un peu leur sang-froid face à certaines situations (lorsqu'un élève se montre particulièrement rétif à l'apprentissage) s'ils ne se savaient pas filmés ? Si la réponse est non, ils sont exemplaires.
Il y a néanmoins une scène qui m'a posé problème. Celle où les enfants d'une école alsacienne est invitée à venir jouer ensemble un air classique. C'est certes une cacophonie assez terrible pour les oreilles. C'est alors que l'on demande aux musiciens de l'école (populaire) d'Ivry de se taire pour écouter exclusivement ceux de l'école (plus bourgeoise) alsacienne et notamment la chanteuse... Dommage.
Malgré ces petites réserves ce film à la population multicolore est très beau.
SING SING de Greg Kwedar ***
Avec Colman Domingo, Clarence Maclin, Paul Raci, Sean San Jose
Incarcéré pendant plus de vingt ans à la prison de Sing Sing pour un crime qu’il n’a pas commis, Divine G choisit, sans doute pour ne pas devenir fou, de se consacrer à l’atelier théâtre réservé aux détenus. À la surprise générale, l’un des caïds du pénitencier, Divine Eye se présente aux auditions.
Ce film n'est pas un documentaire mais il s'inspire de l'histoire vraie de John Whifield "Divine G" interprété (magistralement) par Colman Domingo et l'originalité tient au fait que 85 % des interprètes du film sont d'anciens détenus et que Clarence Maclin surnommé Divine Eye, détenu dangereux, violent et craint y interprète son propre rôle.
L'authenticité et la sincérité du projet emportent l'adhésion et le programme de réhabilitation par l'art de la scène aide les détenus à survivre mais aussi à se ré-humaniser, à découvrir ou ressentir des émotions enfouies profondément. Exprimer ses regrets, sa culpabilité voire continuer d'étouffer sa colère rentrée devant l'injustice. Et pleurer doucement, découragé une fois de plus lorsque l'on vous questionne lors d'une audition pour une énième demande de révision du procès (Divine G n'a de cesse de chercher puis de trouver des preuves de son innocence) : "en ce moment êtes-vous en train de jouer un rôle ?"
Et puis entendre dans l'endroit le plus improbable un détenu jadis violent déclamer :
"Être ou ne pas être, telle est la question.
Y a-t-il plus de noblesse d'âme à subir la fronde et les flèches de la fortune outrageante, ou bien à s'armer contre une mer de douleurs et d'y faire front pour y mettre fin ?
Mourir... dormir, rien de plus... et dire que, par ce sommeil, nous mettons fin aux maux du cœur et aux mille tortures naturelles qui sont le lot de la chair: c'est là un dénouement qu'on doit souhaiter avec ferveur.
Mourir... dormir; dormir, peut-être rêver".
Comment peut-on rêver dans cet endroit ? Un film à la fois douloureux et plein d'espoir.
L'établissement correctionnel classé comme établissement de sécurité maximale a été construit en 1826. Il est toujours en fonctionnement.