SEULES CONTRE TOUS
.......................
ANNA de Marco Amenta ***
Avec Rose Aste, Daniele Monachella, Marco Zucca
Anna, trentenaire solitaire, élève ses chèvres dans une partie sauvage et préservée de la Sardaigne. Son exploitation est menacée le jour où un vaste projet de complexe touristique commence à s’installer sur ses terres. Bien qu'elle vive sur ce terrain que son père a acheté plusieurs décennies auparavant, aucun acte légal n'a été signé. Cinquante ans plus tôt, une poignée de mains suffisait pour conclure une affaire. Les démarches d'Anna auprès de la mairie, du cadastre n'aboutissent à rien car aucun document n'atteste de l'achat du terrain. Elle se heurte non seulement à un puissant groupe immobilier mais aussi à toute la population locale qui a accepté de vendre voire travaille pour le promoteur. Un avocat va l'aider dans son combat.
Le réalisateur a d'abord été documentariste et cela se ressent dans la première partie et la description minutieuse du travail d'Anna qui travaille du lever au coucher du soleil pour fabriquer le fromage qu'elle vend sur le marché. Elle aime sa vie, son travail, sa terre et ses chèvres et n'entend rien céder ni même accepter les sommes considérables qui lui sont offertes pour quitter les lieux. Elle subit menaces, intimidations parfois physiques, le bruit et les projecteurs allumés toutes les nuits autour de sa propriété l'empêchent de dormir, effraient et stressent les chèvres qui produisent moins de lait et le fait qu'elle soit une femme seule sans mari et qu'elle ait un caractère bien trempé ne sont pas non plus des atouts.
Le réalisateur brosse le portrait d'une jeune femme peu sympathique de prime abord. Elle râle, conteste avant de discuter, claque les portes, se détourne en ronchonnant mais on découvre peu à peu son parcours, ses traumatismes et l'on finit par s'y attacher et trembler avec elle lors de son combat qui semble perdu d'avance. Sa détermination et son comportement obstiné ne sont pourtant pas des lubies, elle est sincèrement attachée à cette terre et ce travail qui sont toute sa vie.
Le film évoque évidemment le récent et excellent Le mohican, combat d'un berger seul contre la mafia. Dommage que le réalisateur ait alourdi son film d'une histoire "d'amour" entre Anna et l'avocat qui n'a vraiment rien à faire ici. On en vient à se demander si ledit avocat se serait acharné à sa défense si Anna n'était pas une si jolie jeune femme. Dommage. L'actrice Rose Aste dont c'est le deuxième film est incroyable.
.......................
BLACK BOX DIARIES de Shiori Ito ***
Documentaire
En 2015 la réalisatrice est une toute jeune journaliste de 26 ans lorsqu'elle est violée après avoir été droguée dans un hôtel par un journaliste influent, Noriyuki Hamaguchi, proche du Premier ministre de l'époque Shinzo Abe (assassiné en 2022). Elle porte plainte et découvre un système judiciaire défaillant, indifférent à son drame. Au Japon comme ailleurs, les hommes puissants sont protégés et la domination masculine n'est pas une illusion. Avec courage et détermination, elle décide de rendre son affaire publique. Elle écrit un livre et ce film éponyme en est le prolongement. En bonne journaliste elle a transformé son combat en une enquête minutieuse dont elle est le sujet principal. Elle a tout filmé, tout enregistré jusqu'à ce témoignage incroyable et capital du portier de l'hôtel qui a vu qu'elle était contrainte d'entrer dans l'hôtel ce jour là. Les caméras de vidéo surveillance la montrent alors que son agresseur la contraint à sortir du taxi. Face caméra, elle livre ses états d'âme, ses rares espoirs, l'émotion de voir l'accueil de son livre, les effets dévastateurs de ce traumatisme, ses larmes lorsqu'elle décide après des années de mettre fin à ses jours, ses crises de panique résultat de ce stress post traumatique, son incapacité à sortir pendant plusieurs années lorsque les cerisiers sont en fleurs car son agression a eu lieu un 3 avril.
Ce film est comme un journal intime qui décortique durant 6 ans toutes les étapes de son enquête : vidéos personnelles filmées au smartphone, appels téléphoniques à la recherche de témoignages et de preuves, images d'archives, ses découragements et ses espoirs, les insultes (parfois même venant de femmes), les menaces dont elle fait l'objet, tout est consigné dans ce film d'investigation passionnant.
Au Japon les femmes ne sont que 4 % à porter plainte lors d'un viol. Encouragée par le mouvement #metoo à Hollywood, la jeune femme n'a jamais baissé les bras face à la pression et au silence et s'est faite la porte parole des victimes qu'elle engage à ne plus se taire pour qu'enfin la justice fasse son travail.
Une des séquences les plus incroyables est cet appel à un journaliste à qui elle demande de témoigner. L'homme lui répond "je le ferai si vous acceptez de m'épouser" (Shiori Ito est une très belle jeune femme). Elle rit gênée, comme nous le sommes de l'autre côté de l'écran. Sa stupéfaction après avoir raccroché reste une énigme.
Enquêter sur sa propre histoire, sa propre affaire confère au film sa particularité. Il est passionnant, palpitant et souvent émouvant.
Il semble que le harcèlement dont elle est victime sur les réseaux l'ait contrainte à vivre en Angleterre et, parfaitement bilingue, qu'elle refuse désormais à parler japonais. En , Shiori Itō est à l'origine du mouvement #WeTooJapan. Elle est la première femme à parler publiquement de son viol.