VERMIGLIO OU LA MARIÉE DES MONTAGNES
de Maura Delpero ***
Avec Tommaso Ragno, Giuseppe De Domenico, Roberta Rovelli, Martina Scrinzi
En Italie en 1944 c'est encore la guerre mais les allemands ne s'aventurent plus sur les hauteurs de cette région du Trentin où vit la famille Graziadei (dieux merci) dans des conditions très rudes.
Elle compte sept enfants dont le tout dernier encore nourrisson, gravement malade, meurt alors que la mère pourtant plus toute jeune attend le huitième. Nous saurons plus tard qu'il y a eu dix enfants mais que deux n'ont pas survécu. Le père, véritable patriarche autoritaire et froid est aussi l'instituteur unique du village. C'est donc lui qui assure l'éducation de tous. Un jeune soldat déserteur sicilien trouve refuge auprès de la famille. L'aînée Lucia en tombe amoureuse. Les ennuis commencent, les deux jeunes gens se marient et tout se complique.
Sur une année, au rythme des saisons la réalisatrice observe la vie de cette famille qui s'inspire de la sienne. Il y est question de la vie très difficile due à la guerre, à l'isolement, aux conditions climatiques, mais aussi d'amour, de mort, de trahison, de naissances et de re-naissance. C'est selon elle "un acte d'amour" pour son père, un hommage. On peut aussi (surtout ?) y voir un hymne aux femmes souvent exploitées, mal aimées, trahies mais toujours vaillantes, animées de rêves et de désirs.
Le film est avant tout une atmosphère et une esthétique. Autant le dire clairement, c'est d'une beauté renversante à chaque plan et chaque saison offre son lot de splendeurs à contempler dans cette région somptueuse qui semble épargnée de toute impureté. C'est donc également très lent, très long, contemplatif voire même un peu laborieux dans sa première partie où l'on observe en essayant de trouver une piste à suivre. Ce n'est qu'après une absence, une lettre qui n'arrive pas, puis un drame, que le film trouve enfin un rythme et un but et devient fascinant. Car il convient tout de même de nous raconter une histoire pour nous tenir attentifs. La condition des femmes est tout entière décrite au travers de tous ces personnages féminins qui dans la plus grande douceur acceptent leur destin. Une mère affectueuse, une jeune adulte amoureuse, une adolescente déconcertée par sa puberté, une autre qui se croit pècheresse et attirée par Dieu. Et toutes protègent, cajolent et aiment les bébés.
Des scènes très fortes surgissent au milieu de cette austérité. Les chuchotements des enfants entassés dans la même chambre avant de s'endormir, la cruauté du père au moment de remettre les diplômes de fin d'année scolaire où il valorise une de ses filles, en discrédite une autre et surtout un fils, la révolte relative de la mère lorsqu'elle dit au père : "j'ai eu dix enfants et tu ne m'as jamais offert une fleur", ce qu'il prend pour un affront, la façon dont la mère découvre que sa fille est enceinte, la querelle entre la mère et le père qui s'est acheté un disque de Vivaldi alors qu'elle ne parvient pas à nourrir ses enfants, de "la nourriture pour l'âme" lui rétorque-t-il et son analyse (géniale) de l'oeuvre de Vivaldi devant des enfants bouche-bée, un mariage où les femmes s'affairent et les hommes ne lèvent pas un petit doigt... tous ces moments élèvent ce film très beau, à la fois très doux et très austère.
Le Lion d’Argent (Grand Prix du Jury) à la 81ème Mostra de Venise lui a été décerné par Isabelle Huppert et son jury et Jane Campion fond d'admiration "Je nourris une grande admiration pour l’extraordinaire maîtrise dont fait preuve Maura Delpero en tant que cinéaste, qui a dirigé une œuvre d’une telle ampleur avec autant d’assurance et de maturité."