J’ai donc pu (privilégiée consciente et ravie de sa chance) assister à une journée du tournage de ce film. Vous trouverez un résumé de l’histoire à la fin de cette note. Mes réactions d’observatrice seront plus « émotionnelles » que techniques évidemment… mais une gentille amie blogueuse m’a dit que c’était « ça » ma différence !
J'ai "touché" le précieux objet qu'est le clap !
Ce que je retiens avant tout de cette journée riche et passionnante est la surprise devant l’ignorance que j’avais de l’abondance de détails à régler.
D’abord, les horaires de travail ne sont pas ordinaires. La scène à tourner devant être filmée en partie la nuit, l’équipe est présente de 17 heures à 2 heures du matin. Ce Quai de la Colonne Louis XVIII à Calais est vide et l’installation des décors pour la distribution de repas aux migrants, ne prend que quelques minutes. Le rail pour les travellings est installé ainsi que l’écran de moniteur d’où le réalisateur observe attentivement et précisément le tournage effectué par une « cadreuse » (soit juchée sur le rail, soit caméra à l’épaule). Une centaine de figurants arrive en bus.
Le rail, le réalisateur, Nils (premier assistant), la file de migrants
Jean-Pierre Améris, pour chacun de ses films, s’entoure toujours d’acteurs non professionnels. Une partie des bénévoles sont donc de vrais bénévoles, quant aux migrants, ils sont tous de « vrais » réfugiés, mais régularisés afin de pouvoir être déclarés et payés. Tous sont consciencieux et appliqués et certains, pas peu fiers d’être « dans un film » crânent véritablement. Je suis stupéfaite de leur implication attentive.
Les acteurs sont là : Isabelle Carré, Christine Murillo, Christian Bouillette, Nazmi Ridic…
Le réalisateur et ses actrices !
Pour la première scène, la distribution de repas, une longue file de migrants doit mimer une bousculade pour accéder à la table où les bénévoles leur offrent à chacun un repas chaud, du pain, une pomme et de l’eau. Sylvie (Isabelle Carré) adresse un mot aimable à chacun d’entre eux sous l’œil mi agacé/mi amusé d’Isabelle (Christine Murillo) qui le lui reproche. La scène est d’abord répétée puis « tournée », 5, 10, 15 fois. Jean-Pierre Améris souhaite toujours multiplier les prises.
Les mots mythiques résonnent : « moteur !»… « action !»… « coupez !».
Le réalisateur et son "moniteur".
5, 10, 15 fois… toute l’équipe (acteurs, figurants, techniciens) se remet en place inlassablement et recommence la même scène. Chaque fois la même scène, oui, mais chaque fois différente, toujours plus, toujours meilleure. Contrairement à toute attente, ce n’est pas la lassitude qui s’installe mais l’application, l’euphorie, l’excellence.
Le temps se gâte...
Les quatre saisons s’invitent sur ce quai d’où les ferrys partent et reviennent sans interruption… le soleil, puis un vent violent, la pluie et enfin le froid. Personne ne bronche. On protège le matériel le plus fragile et on continue… jusqu’à la coupure de 21 h à 22 h pour se rendre à la cantine installée près de la merveilleuse église de Calais qui ressemble un peu à Poudlard… En un instant, et c’est très impressionnant, le quai redevient désert sans personne ni matériel. Incapable de manger, je suis à la table de Jean-Pierre et des acteurs qui discutent de certaines scènes à préciser puis de tout à fait autre chose, de leur vie si peu commune et si ordinaire à la fois ! Isabelle Carré est bien telle qu’on l’imagine : charmante, aimable, souriante, bavarde, disponible, très jolie, très vive et... cinéphile. On papote des quelques derniers films que nous avons vus et aimés. Quand je lui dis que j’ai vu « Anna M. », sa première question est : « tu as eu peur ? ». Oui, évidemment, elle est terrifiante dans ce film !
Christine Murillo (plus connue au théâtre, sociétaire de la Comédie Française, Molière de la meilleure comédienne en 2005) est gentille, drôle et très dynamique.
Christine Murillo et l'acteur flou...
A 22 heures, retour sur le lieu de tournage… Le nouveau décor est installé avec projecteurs cette fois. Il fait nuit : la scène (un plan séquence ?) enchaînera un plan sur un groupe de réfugiés qui se réchauffent et s’occupent en jouant au foot, Isabelle qui distribue du thé, un début de bagarre pour un vol de couvertures et un échange plus intime entre Isabelle Carré et l’acteur kurde Nazmi Ridic. La mise en place est plus délicate que pour le tournage de l’après-midi… le retard s’accumule, la tension monte un peu mais chacun reste concentré et professionnel…
Je passe les détails… il y a tant à dire et je ne veux pas faire trop trop long.
Tournage de nuit et Nazmi Ridic.
Pour ces neuf heures de travail intenses et ininterrompues : 3 minutes « utiles » de film. Je n’en reviens pas. Quand le film sortira-t’il ? Sortira-t’il ??? Le sujet n’est pas très « glamour ». Les administrés n’apprécient guère la mauvaise image qui sera donnée de leur ville (on ne voit pas bien en quoi… tant de bénévoles se mobilisent !).
Et qui a ordonné la fermeture du Centre de Sangatte en décembre 2002 laissant les clandestins errer... Un ministre devenu président non ???
Deux mots me sont venus et me restent en tête sur ce tournage : magie et énergie ! Un film est donc cette entreprise, cette aventure intense et implacable si facile à aimer, si facile à détester, à démolir en quelques mots. Certains critiques devraient faire plus attention… mais c’est une autre question…
Avoir l’estime de Jean-Pierre Améris est un honneur et un bonheur. Le cinéma est sa vie mais humainement, c’est aussi un être solaire, disponible, généreux et chaque personne qui le croise est de cet avis.
M.E.R.C.I.
Synopsis : Sylvie, la trentaine, est une mère au foyer pas tout à fait comme les autres… fantasque, «différente». Elle a quelque chose d’une petite fille exilée au pays des adultes. Pleine de fantaisie, elle s’est inventée un monde imaginaire bien à elle, où la violence de notre société ne peut l’atteindre. Un amour fusionnel la lie à ses enfants, Antoine et Manon, qu’elle ne cesse d’entraîner dans ses jeux et ses inventions. Son mari, Marc, chauffeur de bus scolaire, s’efforce vaille que vaille d’assumer la réalité de la vie matérielle. Pendant que les enfants sont à l’école, Sylvie fait la rencontre d’Isabelle, une femme qui, avec d’autres bénévoles, assure chaque jour une distribution de repas pour les réfugiés (d’Irak, d’Afghanistan, d’Iran, du Soudan ou des pays de l’Est) nombreux dans cette cité portuaire. Ils ne peuvent ni retourner chez eux ni passer en Angleterre en raison des contrôles de plus en plus stricts. Ils subissent l’animosité de la plupart des habitants et la pression de la police qui les harcèle sans cesse. Ils se terrent dans des cachettes de fortune et n’en sortent que pour venir prendre un repas au bungalow tenu par les bénévoles. Parmi eux et les migrants, Sylvie trouve enfin sa place, elle qui s’est toujours sentie «à part». Elle y consacre tout son temps, est prête à donner le peu qu’elle possède. Elle fait la connaissance de Jallal, un clandestin qui a fui son pays où sa vie était menacée, laissant là-bas femme et enfants.