Sydney…
De son exaspérante voix miel et sirop la dame d’Arte annonce la Thema de ce soir « Sydney Pollack et Robert Redford, deux amis à Hollywood »… et trois heures plus tard je comprends mieux ce désagréable pincement au cœur ressenti le 26 mai dernier à l’annonce de la mort de Sydney Pollack. Plus jamais donc, je ne verrai de films de cet incorrigible romantique angoissé qui n’avait pas confiance en lui. Il reste donc une vingtaine de films à voir ou à revoir et même à redécouvrir, comme ce fut mon cas en cette première partie de soirée avec « Jeremiah Johnson » que j’avais vu distraitement en son temps. Sans doute trop jeune pour en capter toute l’essence, j’étais passée à côté d’un authentique chef-d’œuvre, je n’ai pas peur du mot tant ce film et cette histoire m’ont cueillie et terrassée. Western hors norme et écolo, hymne à la beauté et à la violence de la nature, ode à l’homme contraint à la dompter pour survivre, l’aventure et l’errance de Jeremiah Johnson renvoient (parce que je n’ai pu m’empêcher d’y penser…) « Into the wild » à ses chères études (malgré mon amour inconditionnel pour Sean et mon admiration sans borne devant la prestation d’Emile Hirsch… ceux qui ont aimé ce film devraient voir « Jeremiah Johnson »…).
Jeremiah Johnson est un jeune homme qui, incapable de s’adapter à sa fureur, quitte la civilisation en cette fin de XIXème siècle où la grande Amérique se cherche encore. C’est dans les montagnes rocheuses, sauvages et implacables à plus d’un titre qu’il entreprend son voyage, sa quête, son apprentissage, sa fuite… Mais la nature si merveilleusement attirante et époustouflante de beauté ne se laisse pas facilement apprivoiser et la présence de multiples tribus indiennes plus ou moins bienveillantes ou belliqueuses qui n’ont pas encore toutes été exterminées multiplient les embûches sur le parcours solitaire du jeune homme. Quelques rencontres pittoresques, édifiantes ou terrifiantes, une parenthèse enchantée avec un enfant perdu et une indienne « offerte » en cadeau, quelques instants de pur bonheur entrecoupés d’inconsolables chagrins font de ce merveilleux film, un passionnant voyage au cœur de l’homme et de la nature. Avec une économie maximum de dialogues mais avec un acteur (et un personnage) exceptionnel qui parvient en peu de mots à exprimer l’étendue des sensations et sentiments qui le traversent, aux prises avec un environnement naturel indomptable démontrant aussi que l’homme, souvent cruel, sauvage (au sens barbare du terme) est « un loup pour l’homme », Sydney Pollack réussit néanmoins à conclure cette leçon de modestie par une image splendide qui révèle la foi qu’il portait en l’humanité !
Un très grand film !
La seconde partie est un documentaire datant de 2003 où Sydney Pollack parle et se « confesse », et rien n’est jamais plus intéressant que d’entendre un réalisateur évoquer lui-même son travail et ses films. Et à l’écouter, plusieurs décennies de cinéphilie défilent, assez impressionnantes de variété et d’émotions multiples. « On achève bien les chevaux », d’une noirceur abyssale, fut un véritable choc il fut suivi d’une collaboration de 7 films avec son alter ego Robert Redford. Ces deux là se comprenaient au-delà des mots et ont toujours réussi à maintenir intacte leur amitié. « Les trois jours du Condor » est étrangement prémonitoire de l’arrogance tasunienne. « Le cavalier électrique », gentille comédie est une bouffée d’air pur. « Tootsie » devient, grâce à l’intelligence du réalisateur, non plus un homme qui se déguise en femme, mais un homme qui progresse et évolue après avoir été une femme pendant quelques temps… Tous les films de Pollack ont quelque chose en plus que les autres n’ont pas et cela tient sans aucun doute à son incomparable direction d’acteurs, certainement due au fait qu’il fut acteur lui-même et à ses incroyables goût et sens du romanesque. Pourquoi « Out of Africa » dont l’argument tient sur un ticket de métro (une femme va planter du café en Afrique et revient…) est-il un film magique ? Il suffit de regarder Meryl Streep et Robert Redford, qui pourtant n’aimait pas particulièrement ce rôle assez stéréotypé et figé. Malgré tout, lorsque Sydney évoque sa filmographie, c’est « Bobby Deerfield », éreinté par la critique de l’époque sans doute parce qu’il avait osé faire d’Al Pacino un type ordinaire et fade, qu’il place en tête de son palmarès de coeur.
Les interventions de Robert Redford, sobre, intelligent, admiratif et la présence gaie, rêveuse et romanesque de Sydney Pollack rendent ce documentaire qui parle d’amitié et de cinéma particulièrement exaltant et émouvant. Il s’achève sur une note singulièrement poignante : un regret. Sydney regrettant assez douloureusement de n’avoir pas tourné de comédie avec Robert Redford.