Dans un violent accident de voiture, Mateo Blanco perd à la fois la vue et la femme qu’il aime. La tragédie est double pour cet homme car que peut-il arriver de pire à un réalisateur de cinéma que de devenir aveugle ? Cela se passait il y a 14 ans et depuis, sous le pseudonyme d’Harrry Caine, Mateo écrit des scenari.
Un jour, Harry/Mateo entreprend de raconter au jeune Diego, le fils de sa directrice de production qui veille sur lui (et réciproquement…) de lui retracer dans le détail l’histoire de son amour, de sa passion pour Lena et pour le cinéma.
Comment parler d’un film dont la dernière réplique est « L’essentiel pour un film n’est pas qu'il sorte en salle mais de le terminer » ?
Depuis longtemps, Pedro le Grand nous a habitués à nous embarquer dans son univers, nous bercer, nous enflammer, nous conquérir et parfois même nous dévaster le cœur. Une nouvelle fois, il nous emmène au bord du précipice et des ravages de la passion qui peut faire commettre les pires horreurs, mais aussi il parle des sentiments plus forts que tout, de l’amour, de la douleur, du chagrin, des erreurs irrémédiables, du poids de la culpabilité, du bonheur si éphémère et de la faculté admirable que certains ont, comme souvent chez Pedro, de pardonner… Plus que jamais, comme délivré de son « incurable » fantaisie débridée, il parle de la vie et de l’amour avec une force, une mélancolie, une langueur infinies qui font de ce film, son meilleur, le plus grand, le plus beau.
Ce film est un vertige comme je les aime et une extase aussi.
Le scénario en béton armé est un monument de perfection. Toute la tension dramatique qui ne faiblit jamais jusqu’à l’ultime bobine est filmée avec une maîtrise, une maestria qui font de ces "Etreintes brisées", en plus de l’intérêt constant qu’on porte à l’intrigue palpitante, un objet d’une beauté sans nom.
On ne dira jamais assez à quel point on reconnaît le « style », les couleurs, les lumières, les thèmes, les sons « almodovariens », et pourtant ce film à part, est comme un sommet, une apothéose. Sans doute parce qu’il est aussi la déclaration d’amour d’un cinéaste/cinéphile au cinéma. Tous les hommages que le réalisateur rend ici au Septième Art donnent le frisson : de l’énumération des DVD classés dans une dvthèque à la scène où Lena (Penelope Cruz, ÉTOURDISSANTE !) sanglote de voir Ingrid Bergman pleurer dans le film de Rossellini « Voyage en Italie », à cette autre où déjà aveugle, le réalisateur demande : « je veux entendre la voix de Jeanne Moreau » avant de « regarder » « Ascenseur pour l’échafaud », jusqu’au fait (GÉNIAL) du tournage du film dans le film et du tournage du making-off sur le tournage du film dans le film !!!
Vertigineux, je vous dis… mais totalement maîtrisé, limpide, sombre et lumineux. C’est comme si Almodovar déroulait devant nous tous les méandres tortueux d’un labyrinthe dont on se dit, incrédules, qu’il est tellement complexe que sa résolution va décevoir, forcément. Et puis, tout s’explique, se justifie, se pardonne, ou presque… Et l'on reste ébahi et désemparé et l'on goûte jusqu'à la dernière note et le dernier mot du générique pour ne pas quitter encore la sensation qu'a laissée la dernière image extraordinairement apaisée.
C’est Lluis Homar, mélange de Laurence Olivier et de Vittorio Gassman qui est le réalisateur aveugle, amoureux, cinéphile. Il est parfait.
Mais que dire de Penelope Cruz ? Après tout ce que j’ai lu sur elle et surtout la façon qu’elle a de parler d’Almodovar, comme étant sans doute l’homme le plus important de sa vie, son père, son mentor, sa boussole, son inspirateur, celui contre lequel elle se blottit pendant les tournages, celui qui l’aime et la protège, je m’étais mise à l’aimer, comme je l’avais aimée dans « Tout sur ma mère » et « Volver », avec admiration et envie. Et puis je l’avais trouvée exécrablement insupportable à Barcelone...
Et puis là, magie du cinéma, magie de Pedro… Penelope est une actrice phénoménale qui capture l’écran tout entier et le spectateur aussi. Dès qu’elle disparaît de l’image ou de l’histoire, elle manque, elle laisse un vide que rien ne peut combler que le souvenir ou l’espoir de la revoir. Et elle revient, encore et encore… Et Pedro s’empare d’elle et surtout de toutes les émotions qu’elle est capable d’exprimer, c’est-à-dire de toute la palette d’émotions dont un être humain est capable, de la joie à la douleur, en passant par le dégoût sans oublier de lui permettre quelques scènes de comédie et aussi de la faire « jouer mal » pour les besoins du film. La voir est fascinant, mystérieux et éblouissant.
Il faut que Penelope et Pedro se retrouvent et ils formeront sans doute un des couples de cinéma les plus mythiques qui soit.
En attendant, ce film admirable doit faire partie de toute cinéphilie digne de ce nom.
Mais que ces « Etreintes brisées » soient reparties bredouilles de Cannes est totalement inconcevable.