Le soliste de Joe Wright***
Steve Lopez traverse une mauvaise passe. Le journal pour lequel il travaille, le Los Angeles Times, est en perte de vitesse. Sa patronne n’est autre que son ex femme bien qu'il n’ait toujours pas compris les raisons de leur séparation. Il ne parvient pas à communiquer avec son fils parti loin pour ses études. Des ratons laveurs envahissent son jardin. Cerise confite sur le clafoutis, il se plante en vélo, se retrouve un bref temps à l’hôpital et en ressort le visage complètement boursouflé et couturé.
Alors qu’il est attiré par des notes de musique dans la rue, il fait la connaissance de Nathaniel SDF un peu dérangé qui joue du violon sur deux cordes. En panne de sujet pour la rédaction d’un article, Steve se sert de Nathaniel pour raconter son histoire pas banale. Peu à peu, les deux hommes vont se lier d’une amitié inattendue qui va bouleverser leurs vies.
Loin de la success story hollywoodienne parfaitement prévisible, ce film s’éloigne progressivement du chemin balisé, attendu ou redouté du mélo à fort pouvoir lacrymal estampillé « histoire vraie », pour finir par s’en écarter définitivement. Et c’est tant mieux. Car si l’émotion n’est pas absente ici, notamment dans les dernières minutes absolument vibrantes, à aucun moment le récit n’est encombré par une quelconque emphase. Le réalisateur évite aussi toute leçon de morale et se débarrasse, je dirai même qu’il anéantit radicalement le prêchi prêcha religieux qui encombre si souvent les films. Joe Wright réussit un film pétri d’humanité où il est question d’une amitié qui s’insinue tout en douceur dans le cœur de deux hommes que tout semble opposer sauf l’émotion et l’exaltation intenses que leur procure la musique et plus précisément la musique de Beethoven.
Mais pas seulement, il réalise un film profondément social en abordant un sujet d’autant plus inattendu qu’il se situe à Los Angeles : la place des SDF dans la cité des anges où naissent et meurent les rêves de gloire. On sait peu que le nombre de sans abri y est effarant et qu’il y existe une véritable cour des miracles peuplée de laisser pour compte, de malades, de vagabonds… et aussi d’un surdoué tel que Nathaniel. On savait déjà que Joe Wright « responsable » d’un plan séquence extravagant et admirable dans son bouleversant « Reviens-moi » était capable du meilleur. Il le confirme en évitant tous les pièges et en filmant des scènes musicales dans les endroits les plus improbables tels un parking souterrain, un pont sous un échangeur d’autoroutes.
Il aborde également le thème de la schizophrénie, cette maladie infernale qui vous impose des voix dans la tête et vous rend totalement inadapté au monde qui vous entoure. Il prouve aussi que la "normalité" n'est pas une notion si simple. Qu'il ne suffit pas de vouloir le bonheur ou seulement le bien de ceux qu'on aime pour leur apporter. Comment savoir ce qui est bon pour l'autre d'ailleurs ?
Dans le rôle parfaitement casse gueule du génie méconnu, entre schizophrénie et autisme, Jamie Foxx, contrairement à ce que j’ai lu ici et là, reste sobre et touchant.
Quant à Robert Downey Jr, s’il cabotine toujours, reconnaissons qu’il le fait avec génie comme l’un des plus grands acteurs américain actuel qu’il est (c’est MON avis). Mais comme délivré de son éternelle (et jouissive) ironie habituelle, il fait preuve de beaucoup d’aisance et d’inspiration dans les scènes d'émotion.
En un mot, il est PARFAIT.
Je le répète, les dernières minutes frémissantes, laissent le cœur battant au rythme du triple concerto pour violon et violoncelle de Beethoven, rappellent et confirment le pouvoir mystérieux et miraculeux de la musique, sur ceux qui la font comme sur ceux qui l’écoutent.