Une vie toute neuve de Ounie Lecomte ***
En 1975, Jinhee a 9 ans et vit seule avec son père à Séoul. Ne pouvant plus s’occuper d’elle il la place sans lui donner la moindre explication dans un orphelinat catholique. La petite fille se désespère persuadée que son père va venir la rechercher, mais le directeur de l’orphelinat lui annonce qu’elle est là pour être adoptée.
La réalisatrice dont c’est le premier film, filme à hauteur d’enfant le quotidien de ces fillettes dont les Sœurs et une « nounou » prennent grand soin matériellement sans néanmoins s’embarrasser de psychologie. Les seuls évènements qui rythment leur attente et leur espoir sont la messe chaque dimanche où elles peuvent se faire belles, les visites des couples d’adoptants la plupart occidentaux et le départ très scénarisé des fillettes adoptées.
Malgré la dureté de certaines scènes ou situations, Ounie Lecomte qui nous raconte ici sa propre enfance ne tombe à aucun moment dans le pathos ou le misérabilisme. Jamais elle ne cherche à nous tirer de force des larmes à grand renfort de violons et pourtant il est difficile de résister à la petite Kim Saeron qui interprète Jenhee avec une évidence folle et dont la tristesse silencieuse est un crève-cœur. C’est assez fabuleux ce que certains réalisateurs parviennent à faire faire à des enfants car observer cet orphelinat fait davantage penser à un documentaire qu’à une fiction tant toutes ces petites filles sont convaincantes. Et Jinhee, même si sa vie est moins dramatique et moins potentiellement menacée, m'a rappelé par sa douceur et l'injustice de ce qui lui arrive, l'inoubliable petite Baktay du "Cahier".
Jinhee résiste jusqu’à ce qu’elle comprenne que son père qui n’a laissé aucun moyen de le joindre ne reviendra plus jamais. L’espoir de se faire adopter en même temps et par la même famille qu’une autre petite fille avec qui elle parvient finalement à sympathiser est lui aussi réduit à néant. Le désespoir qui la pousse à une mise en scène absolument ahurissante pour « disparaître » est un moment saisissant.
Le film recèle une quantité de moments forts et bouleversants comme celui où un couple d’américains vient comme pour « faire son marché » et choisir la fillette qui répondra le mieux à leur désir d’enfant parfait. Les efforts de l’amie de Jinhee qui prononce quelques mots d’anglais et ne quitte jamais un sourire angélique pour séduire le couple est à la fois pathétique et effrayant. On aurait presque envie de leur « fournir » une Esther pour leur faire comprendre que cette « marchandise » est différente de celle qu’on trouve à la foire aux bestiaux.
La solitude et la détresse de ces petites filles résignées et patientes auraient pu donner lieu à un mélo sirupeux agrémenté de violons larmoyants. Il n’en est rien, tout ici est subtil, sobre et délicat, la réalisation, l’interprétation.
Jinhee sera finalement adoptée par un couple de français qui ne se déplacera même pas. Elle fera le voyage avec un couple qui ne lui manifestera pas la moindre attention. L'arrivée à l'aéroport de cette petite poupée triste, seule avec sa petite pancarte autour du cou est douloureuse.