DES HOMMES ET DES DIEUX de Xavier Beauvois **
En 1996, 7 moines ont été pris en otages puis assassinés en Algérie alors qu'ils occupaient depuis des années un monastère perché dans la montagne. La responsabilité de cette tragédie reste encore incertaine à ce jour puisque ces moines vivaient parfaitement intégrés à la population mais acceptaient également de venir en aide aux terroristes. Un climat de terreur s'empare du village et de ses environs après le massacre d'ouvriers croates par un groupe islamiste. Le quotidien du monastère est ascétique, rythmé par les différents offices religieux chantés, les repas silencieux quoique divertis par la lecture des psaumes, mais aussi très laborieux puisque chaque moine a une tache qui lui est attribuée afin de subvenir à la vie en autarcie de la communauté. Par ailleurs, l'entente est totale avec les villageois. Ainsi les moines participent activement à la vie locale, assistent à certains offices ou fêtes, aident aux travaux des champs mais mettent également à disposition des habitants un moine médecin. Lorsque les autorités locales proposent à Frère Christian de placer le Monastère sous la protection de l'armée, il refuse. Se pose alors, dans cette atmosphère de menace de plus en plus oppressante, la question des raisons de la présence de chacun dans ce pays puis des motifs de rester au risque de sa vie !
Le choix délicat et décisif du départ est donc mis aux voix selon le principe démocratique du groupe et avant de prendre une décision définitive et collective, chacun va s'interroger sur ses motivations, ses raisons mais aussi la profondeur de son engagement et donc, de sa foi.
Il semblerait que ce film doive être pris comme une vision universelle des choix et décisions d'hommes ordinaires face à une situation extraordinaire, ainsi que de ce qu'on peut être capable d'endurer par fidélité, dévouement, engagement, compassion. Sauf que ces hommes n'ont rien d'ordinaire et que leur dévouement ressemble davantage à de la dévotion, leur compassion à de l'abnégation et que je n'ai pu m'empêcher d'y voir quasiment exclusivement les dérives et exagérations de tout ce que l'engagement religieux peut produire sur les hommes et surtout les actes qui en découlent. Une pensée de Pascal (pas moi, l'autre, sans E) énoncée dans le film, résume exactement ce que je ressens en tant que mécréante athée : "Les hommes ne font jamais le mal si gaiement et si bien que quand ils le font par conviction religieuse". Et ce film le démontre encore, à part le racisme primaire voire primitif, les coupables de la barbarie ordinaire qui règne à travers la planète se réclament le plus souvent de Dieu ! Ne pouvant me détacher de cette pensée, le sacrifice insensé de ces hommes de foi me paraît aussi extravagant et incompréhensible que la haine déployée face à eux (et à la population) par les terroristes. J'ai clairement entendu que rester sur place malgré le risque de perdre la vie était un acte d'amour plus grand et plus fort que tout. Celui que chaque croyant peut ressentir pour Dieu, celui que tout religieux qui lui consacre sa vie conduit au renoncement ultime.
Que reste t'il donc ? Un très beau film indéniablement, pas facilement oubliable dont le message d'amour et l'acte sacrificiel absolument vain m'échappent totalement mais dont je ne peux nier qu'ils me rendent admirative quoique définitivement incrédule. La perfection, la sur-humanité, la part de divin qui habite ces hommes me dépassent. Tout comme toute forme d'intégrisme me fait vomir.
Le film est beau donc par ses images, même si on a peine à croire qu'il s'agisse d'un village de la fin du XXème siècle tant les conditions de vie semblent moyen âgeuses. Mais le chef de la police le crie à un moment : "c'est la colonisation française qui a réduit les chances de ce pays de se développer". Ce film est beau dans sa douceur méditative, sa lenteur contemplative, ses rapports humains tendres et chaleureux. Et puis surtout par ses acteurs qui tous semblent avoir pris le temps de ce rôle, leur métier pour un sacerdoce. C'est rien de dire qu'ils sont "habités" par leur personnage. Mais deux m'ont particulièrement éblouie. D'abord l'exquis Michaël Lonsdale qui avec sa bonhomie et une certaine candeur m'a touchée. C'est lui qui à mes yeux incarne véritablement la bonté, la compassion et semble plus que tout autre touché par la grâce qui ne l'éloigne pourtant pas des réalités de la souffrance. Et puis c'est encore lui qui a le mérite de dire les plus jolies phrases. Il faut le voir expliquer qu'il ne craint rien, pas même la mort et d'ajouter dans un demi sourire malicieux "Laissez passer l'homme libre" !!! Mais je dois dire que c'est la performance intense et angoissée d'Olivier Rabourdin qui m'a définitivement conquise. Parce que c'est lui qui hésite et résiste le plus, qu'il est le plus tourmenté, pris entre la culpabilité, la remise en question de sa foi et des doutes indescriptibles qui le font hurler de douleur la nuit seul dans sa chambre. C'est lui, le plus humain de tous je trouve et finalement celui qui me semble le plus auréolé de lumière.
Etrange choix que le "Lac des Cygnes" pour l'une des scènes (la cène !) finales, mais les gros plans insistants sur le visage de chaque protagoniste (et notamment celui d'Olivier Rabourdin justement, transfiguré), même s'ils dramatisent un peu l'issue que l'on connaît, sont un des moments vraiment inoubliables de ce film.