BIUTIFUL de Alejandro González Inárritu ***
Uxbal vit de combines pas bien reluisantes mais il a un objectif respectable et une échéance inéluctable à honorer : mettre ses deux enfants chéris à l'abri du besoin car le cancer qui le ronge et qui n'a pas été "détectéto" ne lui laisse plus que quelques semaines à vivre...
C'est dans une Barcelone méconnaissable ou plutôt méconnue qu'Inárritu a installé le calvaire en phase terminale d'Uxbal. Les amoureux de l'architecture "gaudienne", des ramblas, des tapas et de la ville qui s'éveille chaque soir vers 19 heures en seront pour leurs frais, car même si l'on aperçoit au loin et à plusieurs reprises la Sagrada désespérément et éternellement en travaux, c'est dans les quartiers pauvres voire misérables que l'on n'imagine même pas, que se situe l'action du film.
Evidemment le réalisateur semble se réjouir et déclarer partout qu’après le bouillonnant « Babel » qui multipliait les personnages, les histoires et parcourait le monde, il a voulu se concentrer sur le destin d’un seul homme voire d’un homme seul. En ce qui me concerne, j’ai quand même vu au moins trois films en un. D’abord l’histoire familiale d’Uxbal complètement seul face à sa fin prochaine et qui doit à la fois mettre ses enfants à l’abri du manque d’argent mais aussi de leur mère, jeune femme immature, maniaco-dépressive dangereuse pour elle et pour ses enfants et qui tente de s’en sortir en répétant les séjours en hôpital. Mais aussi et comme souvent chez Inárritu le monde autour du héros ne va pas bien du tout. Et ici, les travailleurs clandestins africains ou asiatiques sont honteusement exploités par leurs semblables alors que la police corrompue jusqu’à l’os ferme les yeux. L’abjection scandaleuse et la bassesse de cet esclavage se trouvent en « périphérie » des déboires d’Uxbal qui y participe néanmoins d’une main tout en tendant l’autre à quelques uns qu’il tente de secourir. Mais une de ses actions bénéfiques se transformera en un drame épouvantable, rapporté avec beaucoup d’insistance. Par ailleurs, Uxbal exploite le malheur et la détresse de parents qui ont perdu leur enfant en monnayant les prétendues dernières paroles des morts…
Ce film inconfortable est fort, triste et étouffant et j’en suis sortie un peu asphyxiée avec un fort besoin de respirer de l’air (pur ou pas). Mais il est beau. C’est étrange de le dire car la noirceur des images et des événements ne donnent que peu d’espoir en la nature de l’humaine condition et de son avenir. Il y a même des scènes qui m’ont déplu comme la scène d’ouverture et de clôture du film que je trouve particulièrement laide bien qu’elles soient illuminées par le trop rare sourire de Javier Bardem. Ainsi que les scènes plus ou moins ésotériques avec cette femme qui voit au-delà de la conscience.
Mais il y a Javier Bardem et c’est rien de dire que son prix d’interprétation cannois n’est pas usurpé. Il est l’âme, la force, la douceur, la fragilité, l’instinct paternel de ce film, il est l’amour et la douleur. Crucifié entre l’urgence de protéger les siens et la culpabilité de ses actes condamnables. L’acteur qui n’hésite pas non plus à mettre en péril sa triomphante virilité est étourdissant et prodigieux et il sauve ce film dense et parfois outrancier de sa complexité.
P.S. : Si vous avez lu Télérama... Quelqu'un peut-il m'expliquer la fixette de Guillemette Odicino sur les radiateurs : "Une image douteuse, inacceptable, nous prend en otage : quand ce salaud ordinaire sur le chemin de la repentance fournit des radiateurs à des ouvriers clandestins, la caméra s'arrête sur l'asiatique malhabile qui les met en marche. Pourquoi ce plan insistant ?" Cette fille est folle ou c’est moi ? J'ai rien compris.