Avec son beau titre, on imaginerait aisément que ce film puisse être la déclaration d'amour d'un réalisateur à une région de la grande Russie ex soviétique. Si c'est le cas Salva miam Ross s'y prend d'une bien curieuse façon en nous brossant le portrait d'une humanité comme abandonnée au fin fonds de nulle part dans la toundra infinie de la Sibérie. Quoiqu'il en soit Monamour (enunmot) est le nom d'une bourgade embourbée dans la gadoue où vit une population livrée parfois à ses plus bas instincts de survie. Que reste t'il à ces personnages perdus et isolés avant de sombrer dans l'animalité qui rôde autour d'eux et en eux ?
Sibérie Monamour est une épreuve. Mais comme vous l'avez peut-être compris, j'aime souffrir au cinéma. Sans doute parce que je sais que ce ne sera que provisoire, même si incontestablement ce film m'accompagne depuis que je l'ai vu. Y penser, y repenser encore c'est le luxe qu'offrent certains réalisateurs qui, par leur audace et leur vaillance dérangent, surprennent. C'est un film beau à pleurer. Un film désespéré, désespérant avec néanmoins une lueur d'espoir en l'humanité douloureuse pas toujours folichonne ! On en sort avec le besoin urgent de respirer, de retrouver la lumière.
De quoi s'agit-il ? D'un grand-père qui vit isolé au fond d'une forêt terrifiante avec son petit-fils, Lyocha, un minot d'une dizaine d'années qui semble endurci comme s'il avait déjà vécu mille vies. Un moutard incroyable qui n'a peur de rien et qui, seul comme un chien livré à lui-même (sa maman étant morte), attend que son papa revienne le chercher. En attendant, il partage cette cahute insalubre avec ce vieux dévot qui lui prodigue peu d'affection même si l'on comprendra vite qu'il l'aime infiniment, et l'encourage à prier ce Dieu dont il est certain qu'il lui doit tout. Mais tout quoi ? L'hiver approche, le froid s'intensifie, les vivres commencent à manquer, les loups affamés rôdent alentours, les chiens errant se transforment en bêtes sauvages et l'oncle de Lyocha qui devait ramener l'enfant au village, contre l'avis de sa mégère de femme, disparaît soudainement. Rien ne va plus. Des vagabonds malfaiteurs pillent les maisons isolées. D'ex soldats "d'active" de l'ex grande armée russe n'ont d'autre mission que de ramener une prostituée à leur supérieur, des oisifs avinés, brutes épaisses qui ont perdu ce qui leur restait d'âme au fond d'une bouteille de Vodka. Ils se saoulent en souvenir de leur grandeur passée. Les femmes sont des morceaux de barbaque qui ne servent à rien d'autre qu'à assouvir les manques et la violence de pauvres types désoeuvrés.
Il y a donc Lyocha, petit garçon qu'on a envie de prendre dans ses bras et de consoler, qui écrit des lettres à son papa au cas où il réapparaîtrait en son absence, qui dessine un soleil bleu pour ne pas gâcher son crayon de couleur jaune destiné à colorier Dieu qui est jaune, forcément, brillant ! Son grand-père, dévot bourru qui s'est persuadé depuis longtemps que tout est dans les mains de Dieu et qui ne supporte plus la compagnie des hommes. Cet ancien officier, imbibé d'alcool, de rancoeur, de regrets, qui ne tient plus à rien et surtout pas à la vie. Cette toute jeune prostituée, tabassée, violée, réduite à rien, qui ne sait même plus que sous sa carapace abîmée bat un coeur. Ce jeune soldat qui essaie de croire à sa mission et va découvrir l'amour. Cette tante qui profère des horreurs et s'effondre pour se relever plus grande, deux fois... Et autour de toute cette humanité accablée divaguent les loups enragés et les rôdeurs crétins et cupides.
Les images à la beauté foudroyante illuminent ce conte noir et glaçant qui dépeint la déliquescence de la russie qui livre ses habitants isolés à ses inclinations les plus avilissantes. Et puis, il suffit d'un événement dramatique pour que la part de bonté et de générosité naturelles qui semblent sommeiller même chez les salauds ordinaires refassent surface. Et le réalisateur réussit habilement, après nous avoir captivés comme dans un thriller quasi horrifique avec toutes ces histoires sombres et effrayantes que rien ne rassemblaient, à réunir les protagonistes dans un même élan d'abandon et d'humanité qui réchauffe autour d'un petit garçon en bien fâcheuse posture...
Et ceux que les derniers mots du film, prononcés par Lyocha ne font pas pleurer peuvent s'arracher le coeur et le donner à bouffer aux chiens ! Il ne leur est d'aucune utilité.
Désespérément beau je vous dis !