BEGINNERS de Mike Mills ***
Le film démarre et l'on découvre Oliver occupé à faire des cartons dans une belle maison de Los Angelès. On comprend vite qu'il est en train de vivre ce moment effroyable entre tous où il faut vider la maison de ses parents. Trier, conserver, jeter... et pleurer tout ce que le corps contient de larmes. Oliver en est là. Triste à crever à l'heure des bilans, des retours en arrière. Au moment où orphelin à tout jamais, la dépression guette quand on n'est plus l'enfant de personne, qu'il faut trouver sa place dans ce vaste monde plombé ou allégé du poids d'un héritage, d'une éducation. La voix off d'Oliver va nous balader du passé proche (4 ans en arrière), au présent et vers l'avenir où le ciel va peut-être s'éclaircir d'une embellie durable...
Quatre ans auparavant la mère d'Oliver est morte en quelques mois d'un cancer. C'est ce moment que son père Hal choisit pour faire son coming-out, lui annoncer qu'il a toujours su qu'il était gay mais à une époque où l'homosexualité était considérée comme une maladie, il a préféré vivre une vie conforme à son époque. Passionné par son métier d'historien de l'art Hal a aimé sa femme et son fils, a pris ses responsabilités mais rejoint sur ses vieux jours la communauté gay et partage sa vie avec un homme beaucoup plus jeune que lui. Oliver s'interroge sur ce qui a fait de lui ce qu'il est, pense comprendre les raisons de ses échecs sentimentaux en série, comme s'il s'interdisait de vivre une histoire d'amour. Puis il rencontre Anna, actrice française aussi triste que lui, harcelée par un père qui menace constamment de se suicider.
Avec tous ces termes et ces pensées sombres, on pourrait craindre que ce film soit plombant. Il n'en est rien. Evidemment il est parfois d'une tristesse inouïe qui parvient à atteindre le spectateur innocemment lové dans son fauteuil de cinéma. Mais c'est justement ce qui fait l'une des immenses qualités de ce film différent, juste et tolérant de pouvoir s'identifier aux personnages compte tenu des pertes irremplaçables qu'ils subissent. Ont-ils droit au bonheur ? Vont-ils y parvenir ? Réussir à prendre les distances nécessaires malgré l'empreinte indélébile de ceux qui les ont placés sur terre ?
Si j'ai trouvé que la rencontre entre Anna et Oliver sonnait faux sans doute à cause de la bizarrerie du mutisme d'Anna aphone pour l'occasion, tout le reste est d'une grande douceur, d'une infinie justesse et douloureux souvent aussi. Mais les personnages n'encombrent pas les autres de leur tristesse. Ils frôlent la dépression sans y sombrer tout à fait en tâchant de faire du mieux qu'ils peuvent, en se prenant en charge, en dépassant leurs craintes et en bravant leurs fantômes, pour vivre enfin.
Parler de ce machin mystérieux "faire son deuil", le réalisateur y parvient sans faire des interrogations d'Oliver un tribunal où il jugerait ses parents. Au contraire, sa tolérance, sa bienveillance à l'égard de son vieux père qu'il découvre homosexuel sur le tard, sa façon attendrie de le voir enfin être heureux sentimentalement le rapprochent considérablement de ce père qui fut beaucoup absent, absorbé par son métier.
La profondeur, la vulnérabilité d'Ewan Mc Gregor touchant comme jamais, la fragilité et la fantaisie de Mélanie Laurent et la finesse de Christopher Plummer en beau vieillard homo, sans oublier un chien (pour une fois pas agaçant) qui pense : "dis-lui que les ténèbres nous engloutiront si rien de radical n'advient sur le champ...", font de ce film souvent bouleversant un magnifique moment de cinéma.