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2 **** INDISPENSABLE - Page 45

  • THE PLACE BEYOND THE PINES de Derek Cianfrance ****

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    Luke fait un tabac avec son numéro de cascadeur à moto lancé à toute berzingue dans un globe en feraille. Il va de ville et ville et croise la route de Romina avec qui il avait eu une aventure quelque temps plus tôt. Il découvre alors qu'il est père et décide de ne plus quitter la petite ville de Shenectady pour être près de son fils, le voir grandir, partager sa vie. Mais Romi refuse de quitter l'homme qui partage désormais sa vie. Pour aider ceux qu'il considère comme sa famille, Luke trouve un emploi de mécanicien chez Robin qui rapidement lui propose de commettre des braquages de banques afin d'agrémenter d'un peu de beurre les épinards. C'est alors qu'intervient Avery Cross, jeune flic ambitieux, lui aussi père d'un bébé...

    A partir de là : CHUT ! Et je vous enjoins à trucider de la manière la plus moyen-âgeuse possible (au chalumeau par exemple) toute personne qui vous raconterait quoique ce soit à propos de ce film. En effet, au bout d'une heure, alors qu'on se croit confortablement installé dans un polar un peu crasseux et haletant, le film réalise un virage à 180° totalement ébouriffant. Polar il l'est mais aussi grand mélo des familles, comment et pourquoi être un père, mais aussi un fils ? Et Derek Cianfrance s'y prend comme un maître et prend tout son temps pour raconter une histoire en trois parties bien distinctes et pourtant totalement imbriquées et dépendantes les unes des autres ! Pour une fois la longueur du film n'est pas un handicap et aucun moment de flottement ou d'ennui n'envahit le spectateur. Elle permet en outre de suivre de façon approfondie chaque personnage, son histoire, son destin, ses choix, ses aspirations.

    Difficile de ne pas évoquer James Gray ou Martin Scorsese. Tant pis, c'est fait.

    Côté casting ! Du lourd, du très très lourd. Les deux des trois plus beaux gosses de la planète hollywood actuelle sont là, Ryan Gosling en un long plan (séquence) langoureux d'ouverture torse nu (avec beaucoup de lecture dessus...), merci Derek, Bradley Cooper beaucoup trop habillé, plus fragile et torturé que d'habitude. Ils sont parfaits et portent le film à des sommets. Ray Liotta, plus flippant que jamais fait de son regard un effet spécial. Impressionnant ! A noter également la présence du fiévreux Dan Dehaane, révélé dans Chronicle, confirmé dans Des Hommes sans loi et une fois de plus étonnant ici.

    Un grand film, à voir, à revoir, qui marquera sans aucun doute l'année 2013 et les projets de Derek Cianfrance découvert avec le très très sombre Blue Valentine (apparemment la vie pour Derek, c'est pas de la poilade) à suivre de très très près.

  • DJANGO UNCHAINED de Quentin Tarantino ****

    Django Unchained : affiche

    En 1858 alors que la guerre de sécession n'a pas encore commencé aux Etats-Unis, un ex dentiste allemand, reconverti en chasseur de primes débarque dans son drôle d'équipage : un chariot coiffé d'une dent brinquebalante. Il achète et affranchit Django, un esclave noir qui pourrait l'aider à retrouver les frères Brittle. En échange, il lui promet la liberté dès que les frères seront hors d'état de nuire, Django étant le seul à savoir à quoi ils ressemblent physiquement. Django veut de son côté mettre à profit cette collaboration pour retrouver son épouse Broomhilda dont il fut séparé en raison du trafic d'esclaves. Et sur ce point Schultz peut aider Django. Séduit par le zèle et les dispositions de Django à éliminer les criminels recherchés, Schultz propose une collaboration. C'est ainsi que Django va devenir le premier et sans doute le seul ex esclave noir chasseur de primes. Les choses se compliquent dès lors que les deux hommes retrouvent la plantation dans laquelle Broomhilda est détenue, celle du puissant et cruel Calvin Candie, régentée par le non moins abominable Stephen, homme noir, traître à la cause et dévoué corps et âme à son patron.
    Ceux qui suivent ce blog depuis... bientôt 7 ans (en mars) à présent savent que j'ai été élevée depuis quasiment le berceau à coup de westerns et j'ai hanté les salles de cinéma dès l'âge de 5 ans. Même si je connais toutes mes princesses Disney sur le bout des doigts, ma madeleine à moi c'est le western. Genre que je chéris entre tous.

    Hommage, renouvellement ou renaissance peu importe. Celui-ci est du grand art, un vrai film d'auteur unique en son genre, extravagant et singulier. Un film qui dévaste tout sur son passage et imprime directement dans la rétine et les oreilles des images et des sons mémorables. Un film libre, insolent et ambitieux.Tarantino nous rappelle une fois encore à quel point le cinéma peut être ouvert et TOUT se permettre, sans limite. Dans ces Inglourious Basterds, c'est par le cinéma qu'il offrait à Shosanna la possibilité d'une vengeance juive sur les nazis en éliminant purement et simplement Hitler et ses plus fidèles collaborateurs. Ici il donne à des esclaves noirs la possibilité de se libérer de leurs chaînes et des blancs tellement convaincus de leur supériorité (démonstration faite crâne en main par Calvin Candie que les noirs ont la "bosse de la servilité" hyper développée). Mais l'effronterie ne s'arrête pas là et Tarantino offre une petite vengeance allemande en permettant à un acteur et personnage allemand d'observer la cruauté des américains blancs sur leurs semblables. C'est assez savoureux de voir ainsi s'affronter l'érudition du Docteur Schultz (Christoph Waltz, une nouvelle fois splendide et orateur hors pair) face à l'ignorance un peu crasse parfois de ses concitoyens étasuniens !

    Mais cette fois Tarantino ne refait pas l'histoire à sa sauce ketchup, pas plus qu'il ne nous livre un pensum indigeste et manichéen sur l'esclavagisme. Il n'y a pas d'un côté les gentils noirs contre les méchants blancs. Les personnages tarantinesques ont toujours suffisamment d'ambiguïté pour ne pas être ou tout blancs ou tout noirs. Ils ont toujours ce petit côté "basterd" qui les rend finalement plus humains donc plus cruels voire sadiques. Ainsi chacun a de bonnes raisons de se "servir" de l'autre pour arriver à ses fins. Django cherche comme nombre de personnages tarantinens à se venger alors que Schultz n'est que vénalité. Schultz n'hésite pas à tirer sur tout gêneur et commente ensuite son geste par une longue et implacable tirade explicative. Quant à Django, contraint de jouer le rôle improbable et inédit du noir chasseur de primes, il n'hésitera pas à assister à l'exécution, quasiment le martyre d'un de ses pairs pour convaincre. Cependant, il est évident que la complicité et la connivence de Schultz et Django évoluent peu à peu vers une amitié sincère, profonde et réciproque.

    Le réalisateur ne se contente pas non plus de se contempler en train de filmer un grand western dans des paysages somptueux avec ralentis, musique comme toujours idéale, sa réalisation est ample et magistrale, il parvient à faire de son affaire de mecs plus opportunistes les uns que les autres une grande histoire d'amour. Car quel est le but ultime de Django sinon de retrouver sa douce et sublime Broomhilda ? Et, que d'aventures et de sang versé ATTENTION SPOILER, clic gauche sur la souris si vous voulez lire avant de l'entendre prononcer ces mots : "It's me baby !" ?

    Alors bien sûr, c'est violent (très), bavard (très, très), mais aussi drôle (la scène du Ku Klux Klan est un sketche à mourir de rire !), très sérieux, délirant, extravagant, insensé. C'est du pur Tarantino, mais c'est plus et mieux encore que les autres fois. Dans quelle oeuvre cinématographique peut-on trouver un dandy allemand du far-west, un noir chasseur de blancs, un blanc sadique, une esclave noire qui s'appelle Broomhilda et parle allemand... une scène sublime où Schultz raconte à Django comment Siegfried héros wagnérien s'y prend pour retrouver sa bien-aimée Brünnhilde ?

    Et forcément, et comme toujours la direction d'acteurs est irréprochable tout comme la jubilation évidente des acteurs à faire partie de l'aventure tarantinesque. Christoph Waltz est magnifique. On pouvait craindre au début un copier/coller de son personnage du nazi Lambda des Inglourious. Il n'en est rien et son personnage est beaucoup plus subtil puisqu'il évolue et l'acteur incroyablement sobre. Jamie Foxx est impérial à ses côtés. Samuel L.Jakson se fond admirablement dans le rôle du "nègre" renégat. Et Leonardo DiCaprio assume avec délectation son premier rôle de méchant irrécupérable. Aucune rédemption, aucun remords pour son Calvin Candie. Ce garçon est décidément bien l'un des plus grands acteurs actuels. La preuve ! Les Oscar l'ignorent à nouveau et se contenteront sans doute de lui offrir à 85 ans un Oscar pour l'ensemble de sa carrière où l'on découvrira les plus grands noms de réalisateurs et quelques chefs-d'oeuvre, dont celui-ci.

  • C'EST LE WEEK END IL FAIT FROID IL FAIT MOCHE.

    SAUVEZ CE FILM QUI LE MERITE ET QUI VOUS SURPRENDRA JE VOUS LE PROMETS. IL Y A URGENCE. ET SI JE NE PARVIENS PAS A VOUS CONVAINCRE, ECOUTEZ CET ENTRETIEN QUI VOUS FERA CRAQUER (http://www.franceinter.fr/emission-eclectik-jean-pierre-ameris)

    Et évitez soigneusement les trois autres dont je parle avant, et ne me remerciez pas des économies de temps et d'argent que je vous fais faire.

    L'HOMME QUI RIT de Jean-Pierre Améris ****

    Le film est inspiré de l'oeuvre dense, complexe, passionnante et intimidante de Victor Hugo. Une histoire terrible et incroyable. Celle de deux enfants. L'un Gwynplaine défiguré dès son plus jeune âge par une cicatrice qui donne à son visage un sourire permanent, victime des comprachicos qui a l'époque enlevaient ou achetaient les enfants, les mutilaient pour les exposer comme des monstres. L'autre Déa, une fillette aveugle que Gwynplaine a sauvée de la mort une nuit de tempête. Les deux enfants abandonnés, orphelins sont recueillis pas Ursus, un saltimbanque, philosophe et guérisseur. Sous des dehors rugueux et misanthrophe le vieil homme dissimule des trésors de tendresse et de bonté. Incidemment, il découvre que le visage du garçon provoque l'hilarité et c'est ainsi que le spectacle de "L'homme qui rit" voit le jour. La petite troupe sillonne alors avec bonheur les routes d'Angleterre. Gwynplaine et Dea s'aiment et deviennent inséparables, sous l'oeil bienveillant et inquiet d'Ursus qui sait que pour vivre heureux il est préférable de vivre cachés. Les foules se pressent pour découvrir Gwynplaine, lui assurent une célébrité sans cesse croissante jusqu'à arriver aux oreilles de la Cour...

    D'emblée il faut écarter l'idée de l'adaptation à la lettre d'une oeuvre littéraire grandiose et colossale. Il s'agit ici de la vision d'un réalisateur à propos d'une histoire qui le hante depuis ses quinze ans. L'histoire de deux adolescences meurtries par la différence. Alors que le handicap de Dea aveugle semble vécu sereinement, Gwynplaine souffre de son apparence. Comment en étant à ce point différent, monstrueux, trouver sa place dans ce monde et être heureux ? Rien que l'idée d'évoquer cette douleur, celle de ne jamais se sentir à sa place suffit à me bouleverser. Et le film l'est, bouleversant, par la grâce de cette vision personnelle qui transforme l'oeuvre, sans jamais la trahir, en un conte horrifique, terrifiant sans pour autant négliger un humour apaisant alors que le drame pèse inéluctablement. Et par celle d'acteurs véritablement habités par la beauté et la puissance de leurs personnages. Chacun semble avoir compris que "La vie n'est qu'une longue perte de tout ce qu'on aime". Malgré cette menace qui les nargue, Gwynplaine s'abandonne un temps à l'illusion d'être accepté sans masque, malgré sa différence et à celle encore plus folle de changer le monde puisqu'il obtient soudainement le pouvoir de siéger au Parlement. Sa diatribe face à la Reine et aux parlementaires : "Ce qu'on m'a fait, on l'a fait au genre humain", puissante, bouleversante vire à la farce. Des bouffons ridicules le remettent à sa place, trop tard.

    Dans un décor de carton pâte assumé, revendiqué, Jean-Pierre Améris ne cherche pas la réconstitution historique. On ne verra donc pas de "carrosses rouler devant des châteaux du XVIIIème siècle". On restera plutôt concentrés sur les personnages principaux et leurs visages, même si l'ambiance "timburtonnienne" évoque Edward aux Mains d'Argent et la mer synthétique celle admirable du Casanova de Fellini. Mais qu'on ne s'y trompe pas, le sublime, génial, inoubliable Joker composé par Heath Ledger s'inspire totalement de l'Homme qui rit de  Victor Hugo (et non l'inverse). Il n'y a donc rien de paradoxal à ce que le "masque" de Gwynplaine l'évoque de façon aussi troublante. Mais alors que le Joker blessé aussi au plus profond de sa chair n'aspire qu'au mal, Gwynplaine est d'abord un jeune héros courageux qui a sauvé une fillette, puis un homme honnête qui rêve de justice et d'amour. Marc-André Grondin incarne avec une belle présence inquiète et naïve cet être meurtri, aimé au-delà de ce qu'il espère et totalement ébloui par cet amour.

    Emmanuelle Seigner belle et cruelle Duchesse se servira un temps de Gwynplaine pour surmonter un ennui abyssal et l'utilisera comme une distraction. Elle verra en lui le véritable miroir de son âme noire. "Ce que tu es dehors, je le suis dedans". Et l'actrice offre à son personnage une intensité et une fêlure touchantes qui évoquent la Madame de Merteuil des Liaisons Dangereuses. 

    Dea est la jeune fille pure qui aime et protège Gwynplaine, parfois malgré lui. Elle connaît l'essentiel invisible pour les yeux. Elle ne peut comprendre que Gwynplaine craigne qu'elle ne l'aime plus si elle  venait à découvrir sa laideur. "Comment peux-tu être laid puisque tu me fais du bien ?". Christa Théret, une nouvelle fois surprenante incarne avec une grâce magnifique cet ange aveugle, simple et vertueux. Elle est d'une expressivité réellement impressionnante empruntée aux grandes actrices du muet. Et ici comme une réincarnation, jusque dans ses gestes de la Virginia Cherril des Lumières de la ville de Charlie Chaplin.

    Quant à Gérard Depardieu, jamais aussi bon que dans les grands classiques qui ont contribué à sa gloire, il est ici exemplaire de sobriété. D'une présence forcément imposante, il laisse néanmoins toute la place à ses partenaires et à cet ange fragile et gracile qu'est ici Christa Théret. Et pourtant chacune de ses apparitions alternativement drôles ou bouleversantes le rendent une fois encore inoubliable dans ce rôle de père déchiré, impuissant à sauver ses enfants de leur destin.

    Jean-Pierre Améris nous saisit donc dès la première image implacable et cruelle et ne nous lâche plus jusqu'au final poignant. Il concentre son histoire en une heure trente, sans digression inutile accompagnée d'une musique ample et idéale. Et c'est à regret que l'on quitte ces personnages follement romanesques et romantiques.

    et évitez soigneusement les trois

  • L'HOMME QUI RIT de Jean-Pierre Améris ****

    Le film est inspiré de l'oeuvre dense, complexe, passionnante et intimidante de Victor Hugo. Une histoire terrible et incroyable. Celle de deux enfants. L'un Gwynplaine défiguré dès son plus jeune âge par une cicatrice qui donne à son visage un sourire permanent, victime des comprachicos qui a l'époque enlevaient ou achetaient les enfants, les mutilaient pour les exposer comme des monstres. L'autre Déa, une fillette aveugle que Gwynplaine a sauvée de la mort une nuit de tempête. Les deux enfants abandonnés, orphelins sont recueillis pas Ursus, un saltimbanque, philosophe et guérisseur. Sous des dehors rugueux et misanthrophe le vieil homme dissimule des trésors de tendresse et de bonté. Incidemment, il découvre que le visage du garçon provoque l'hilarité et c'est ainsi que le spectacle de "L'homme qui rit" voit le jour. La petite troupe sillonne alors avec bonheur les routes d'Angleterre. Gwynplaine et Dea s'aiment et deviennent inséparables, sous l'oeil bienveillant et inquiet d'Ursus qui sait que pour vivre heureux il est préférable de vivre cachés. Les foules se pressent pour découvrir Gwynplaine, lui assurent une célébrité sans cesse croissante jusqu'à arriver aux oreilles de la Cour...

    D'emblée il faut écarter l'idée de l'adaptation à la lettre d'une oeuvre littéraire grandiose et colossale. Il s'agit ici de la vision d'un réalisateur à propos d'une histoire qui le hante depuis ses quinze ans. L'histoire de deux adolescences meurtries par la différence. Alors que le handicap de Dea aveugle semble vécu sereinement, Gwynplaine souffre de son apparence. Comment en étant à ce point différent, monstrueux, trouver sa place dans ce monde et être heureux ? Rien que l'idée d'évoquer cette douleur, celle de ne jamais se sentir à sa place suffit à me bouleverser. Et le film l'est, bouleversant, par la grâce de cette vision personnelle qui transforme l'oeuvre, sans jamais la trahir, en un conte horrifique, terrifiant sans pour autant négliger un humour apaisant alors que le drame pèse inéluctablement. Et par celle d'acteurs véritablement habités par la beauté et la puissance de leurs personnages. Chacun semble avoir compris que "La vie n'est qu'une longue perte de tout ce qu'on aime". Malgré cette menace qui les nargue, Gwynplaine s'abandonne un temps à l'illusion d'être accepté sans masque, malgré sa différence et à celle encore plus folle de changer le monde puisqu'il obtient soudainement le pouvoir de siéger au Parlement. Sa diatribe face à la Reine et aux parlementaires : "Ce qu'on m'a fait, on l'a fait au genre humain", puissante, bouleversante vire à la farce. Des bouffons ridicules le remettent à sa place, trop tard.

    Dans un décor de carton pâte assumé, revendiqué, Jean-Pierre Améris ne cherche pas la réconstitution historique. On ne verra donc pas de "carrosses rouler devant des châteaux du XVIIIème siècle". On restera plutôt concentrés sur les personnages principaux et leurs visages, même si l'ambiance "timburtonnienne" évoque Edward aux Mains d'Argent et la mer synthétique celle admirable du Casanova de Fellini. Mais qu'on ne s'y trompe pas, le sublime, génial, inoubliable Joker composé par Heath Ledger s'inspire totalement de l'Homme qui rit de  Victor Hugo (et non l'inverse). Il n'y a donc rien de paradoxal à ce que le "masque" de Gwynplaine l'évoque de façon aussi troublante. Mais alors que le Joker blessé aussi au plus profond de sa chair n'aspire qu'au mal, Gwynplaine est d'abord un jeune héros courageux qui a sauvé une fillette, puis un homme honnête qui rêve de justice et d'amour. Marc-André Grondin incarne avec une belle présence inquiète et naïve cet être meurtri, aimé au-delà de ce qu'il espère et totalement ébloui par cet amour.

    Emmanuelle Seigner belle et cruelle Duchesse se servira un temps de Gwynplaine pour surmonter un ennui abyssal et l'utilisera comme une distraction. Elle verra en lui le véritable miroir de son âme noire. "Ce que tu es dehors, je le suis dedans". Et l'actrice offre à son personnage une intensité et une fêlure touchantes qui évoquent la Madame de Merteuil des Liaisons Dangereuses. 

    Dea est la jeune fille pure qui aime et protège Gwynplaine, parfois malgré lui. Elle connaît l'essentiel invisible pour les yeux. Elle ne peut comprendre que Gwynplaine craigne qu'elle ne l'aime plus si elle  venait à découvrir sa laideur. "Comment peux-tu être laid puisque tu me fais du bien ?". Christa Théret, une nouvelle fois surprenante incarne avec une grâce magnifique cet ange aveugle, simple et vertueux. Elle est d'une expressivité réellement impressionnante empruntée aux grandes actrices du muet. Et ici comme une réincarnation, jusque dans ses gestes de la Virginia Cherril des Lumières de la ville de Charlie Chaplin.

    Quant à Gérard Depardieu, jamais aussi bon que dans les grands classiques qui ont contribué à sa gloire, il est ici exemplaire de sobriété. D'une présence forcément imposante, il laisse néanmoins toute la place à ses partenaires et à cet ange fragile et gracile qu'est ici Christa Théret. Et pourtant chacune de ses apparitions alternativement drôles ou bouleversantes le rendent une fois encore inoubliable dans ce rôle de père déchiré, impuissant à sauver ses enfants de leur destin.

    Jean-Pierre Améris nous saisit donc dès la première image implacable et cruelle et ne nous lâche plus jusqu'au final poignant. Il concentre son histoire en une heure trente, sans digression inutile accompagnée d'une musique ample et idéale. Et c'est à regret que l'on quitte ces personnages follement romanesques et romantiques. 

  • TABOU de Miguel Gomes ****

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    Tabou est typiquement le genre de films dont il faut en dire le moins possible afin de préserver toutes les surprises qu'il propose. Cela tombe très bien, j'ai peu de cerveau disponible actuellement. Néanmoins, c'est ne rien révéler que de dire à quel point il est déroutant et il faut dépasser le premier quart d'heure réellement déconcertant et ne pas sortir comme certains inconséquents l'ont fait pour accéder à une expérience cinématographique hors du commun. Ce film prend littéralement possession du spectateur et l'envahit encore plusieurs jours après la projection et l'on prend à se demander s'il ne s'agissait pas d'un rêve.

    La première partie se déroule dans un immeuble de Lisbonne où la douce, bonne et très seule Pilar s'inquiète fort pour sa voisine Aurora qui perd beaucoup d'argent au casino et prétend être mal traîtée par la femme de ménage qui vit avec elle. La vieille dame est en réalité en train de totalement perdre la carte et ses propos semblent de plus en plus incohérents. L'explication de cette émouvante et captivante première partie prendra tout son sens dans la seconde. Une enthousiasmante et affolante histoire d'amour qui commence par ces mots "J'avais une ferme en Afrique..." telle une promesse d'enchantement dont le récit des souvenirs peut être fait. Aurora aime un homme qu'elle épouse. Il lui offre un bébé crocodile. Cadeau insolite pour une femme imprévisible... Puis Aurora n'aura plus d'yeux et de coeur que pour un autre homme, Ventura, ré-incarnation même de l'aventurier irrésistible, tout comme Denys Finch Hatton coureur invétéré soudain foudroyé d'amour et condamné à ne plus aimer qu'une seule femme.

    Romantique, romanesque et passionné, oui. Mais qu'est-ce qui donne à cette romance tragique sa différence ? En fait un objet cinématographique insolite et à nul autre pareil ? Une réalisation unique, personnelle, follement ambitieuse, difficile à retranscrire en mots... seuls une voix off et les sons, le clapotis de l'eau, le bruissement du vent, le bruit des pas, nous sont audibles alors que les dialogues sont muets... Les personnages eux aussi follement séduisants et attachants, Ana Moreira et Carloto Cotta sosies de Greta Garbo et d'Errol Flynn, d'un charme exceptionnel achèvent de nous emporter dans le tumulte de leur amour.

  • J'ENRAGE DE SON ABSENCE de Sandrine Bonnaire ****

    J'enrage de son absence : photo Alexandra Lamy, Jalil Mehenni, William HurtJ'enrage de son absence : photo Augustin Legrand, Jalil MehenniJ'enrage de son absence : photo Jalil Mehenni, William Hurt

    Afin de régler la succession de son père récemment décédé Jacques, qui vit désormais aux Etats-Unis, revient en France. Il en profite pour revoir Mado qui avait partagé sa vie une dizaine d'années plus tôt, et avec qui il avait eu un fils. Lors de ces retrouvailles chaleureuses, on ne doute pas un instant qu'entre Jacques et Mado une forme de sentiments, si ce n'est l'amour, est toujours bien présent. A moins qu'il ne s'agisse de l'émotion qui fait ressurgir brutalement les souvenirs de leur douloureux passé. L'enfant né de leur union est mort à 4 ans dans un accident de voiture. C'est Jacques qui conduisait. Mais alors que Mado a "refait sa vie", s'est mariée et a eu un autre enfant, Paul 7 ans, Jacques n'a jamais réussi à faire le deuil de cet enfant perdu. Il souhaite néanmoins rencontrer Paul. Et entre l'homme triste et le petit garçon, le coup de foudre est instantané et réciproque. La relation d'abord ténue devient rapidement de plus en plus profonde et cette complicité insaisissable dérange et inquiète Mado qui interdit à son fils de revoir Jacques. Sauf qu'il est trop tard, l'homme et l'enfant sont devenus indispensables l'un à l'autre. Et ils vont continuer à se retrouver le plus souvent possible en cachette. 

    Et j'espère qu'aucun "critique" encarté n'a révélé la façon dont Jacques et Paul vont finalement continuer à se voir car ce stratagème est un des premiers chocs de ce film qui en réserve pas mal...

    Chacun des protagonistes va se mettre à mentir. Mado à son mari en ne lui révélant pas qu'elle a revu son ex compagnon. Paul à ses parents en gardant le secret de ses rencontres avec Jacques. Et chacun va faire peser sur les épaules de ce petit garçon incroyable le poids terrible de leur douleur et de leurs mensonges. Ce petit Paul qui mènera sa réflexion jusqu'à exprimer que si celui qu'il continue d'appeler "mon petit frère" alors qu'il ne l'a pas connu et serait plus âgé que lui, n'était pas mort il n'aurait lui-même pas vu le jour. Terrible de se dire et de penser que sa propre existence tient à la disparition d'un enfant. Et les paroles rassurantes de son merveilleux et si doux papa (étonnant Augustin Legrand (ne cherchez pas "je connais ce nom... je connais ce visage...", les Enfants de Don Quichotte, c'est lui)) ne réussiront pas à l'apaiser.

    Sandrine Bonnaire, actrice supra sensible choisit pour sa première réalisation (Je m'appelle Sabine était un documentaire) de nous parler du chagrin le plus inconsolable qui soit, la perte la plus injuste, inadmissible, inenvisageable, la mort d'un enfant. Alors ce n'est rien de dire que la vision de ce film est une épreuve et qu'il est d'une tristesse insondable. Mais pas seulement, si elle creuse jusqu'à l'os la douleur d'un homme brisé, perdu, on finit par se demander jusqu'où cet homme dévasté va aller pour tenter de calmer sa douleur. Que va t'il se passer entre cet enfant qui n'est pas le sien et lui ? Pourquoi ce lien soudain et mystérieux ne va t'il cesser de croître ? Comment cela va t'il finir ? La tension est donc constante, permanente et ne cesse de s'enfler jusqu'à un final sidérant. Une scène d'une intensité, d'une violence, d'une tristesse comme on n'en voit rarement et qui laisse le spectateur anéanti dans son fauteuil. Et tout ce déchaînement de fureur provient du personnage dont on l'attendait sans doute le moins...

    Pour nous faire partager et vivre toute cette douleur, Sandrine Bonnaire s'est entouré d'un casting complice à la hauteur de son ambition. Alexandra Lamy est son double. Physiquement d'abord. Même mâchoire carrée, même sourire éclatant, même fossette. Mais elles possèdent aussi la même profondeur "terrienne" tant elles semblent toujours l'une comme l'autre ne pas faiblir, ne pas flancher, être là, résister. Le petit Jalil Mehenni est parfait, fragile et solide. Augustin Legrand, un géant de douceur et de compréhension. Et William Hurt, dans son par-dessus bleu erre comme un fantôme désespéré à la recherche de l'impossible. Son beau visage livide, mélancolique, ses yeux rougis et délavés, sa démarche lourde portent toute la tristesse du monde. A tout jamais inconsolable. Et c'est lui qui prononcera cette phrase si belle "j'enrage de son absence"... une rage constamment contenue, intériorisée qu'il parvient par cette interprétation prodigieuse, phénoménale à rendre aussi palpable qu'inimaginable !