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2 **** INDISPENSABLE - Page 46

  • DANS LA MAISON de François Ozon ****


    Dans la maison : photo Ernst UmhauerDans la maison : photo Fabrice LuchiniDans la maison : photo Ernst Umhauer, Fabrice Luchini

    C'est la rentrée des classes. Germain prof de français dans un lycée semble un peu plus désabusé que les autres années et que ses collègues. Et encore davantage lorsqu'il découvre accablé que le Proviseur (discours incroyable de Jean-François Balmer impayable !) entend mettre en pratique une expérience faisant du Lycée Gustave Flaubert un "pilote". Tous les elèves porteront l'uniforme dans le but de les mettre sur un pied d'égalité sans signe ostentatoire de classe sociale. Pour Germain cela donne à ces ados une apparence encore plus grégaire. Mais il n'est pas au bout de ses surprises. Pour connaître le niveau de ses élèves il leur demande de rédiger un texte où ils racontent leur dernier week end. Le résultat est affligeant de banalité et de médiocrité et Germain est persuadé de tenir la classe de seconde la plus nulle qu'il ait jamais connue. Jusqu'à ce qu'il tombe sur le texte de Claude Garcia, élève de sa classe également mais qui raconte avoir observé une famille tout l'été et avoir réussi à devenir le meilleur ami de Rapha le fils. Epaté par l'aisance, le style et l'imagination du garçon bien que choqué par la formule "le parfum particulier de la femme de la classe moyenne" le professeur l'encourage à continuer son histoire. Dès lors le jeune homme va s'ingénier à tenter de retranscrire le récit de ce qu'il observe puis d'interpréter, de modifier le sens ou le cours des événements. La perversion des faits va bouleverser l'existence de pas mal de personnes.

    Et mine de rien la construction du film est vertigineuse et m'a évoqué une oeuvre musicale, une symphonie inachevée. D'abord piano, le récit va crescendo jusqu'à atteindre une forme d'apothéose où tout n'est plus que confusion pour s'achever dans une espèce d'apaisement illusoire, un trompe l'oeil très Fenêtre sur cour où l'on se dit que le prof et l'élève, complices désormais, n'ont pas fini de sévir. Jubilatoire. A suivre... comme dirait Claude Garcia. Le jeune homme, visage d'ange, corps gracile et délicat incarne au premier abord la douceur et l'innocence. Mais parfois sur sa frimousse parfaite passe l'ombre cruelle de l'ironie. Le professeur, comme nous, se laisse prendre par cette apparence inoffensive. Et à un moment on ne sait plus qui du prof ou de l'élève manipule l'autre. Qui admire l'autre, qui le désire peut-être, ou l'idéalise ? Le professeur envie t'il son élève pour son talent, lui qui n'a réussi qu'à écrire un roman médiocre ? C'est un peu comme si Verlaine avait trouvé son Rimbaud et voulait le façonner comme il l'entend. Et les références pleuvent à chaque scène. Comment ne pas évoquer le Visiteur du Théorème de Pasolini puisque Claude parvient à tour de rôle, en fonction des exigences de son prof qui réclame un peu plus d'aspérités, d'obstacles, à séduire chaque membre de la famille très ordinaire de son copain ? D'abord le fils, Rapha, garçon quelconque, sans charme ni talent. Puis le père (Denis Ménochet, acteur impeccable et décidément "transformiste"), brave type fruste, bon père, bon mari quoique vaguement macho mais finalement fragile et harcelé dans son travail. Et la mère (Emmanuelle Seigner, insaisissable, lasse et troublante), la femme qui s'ennuie le plus sur terre et rêve de véranda, son Maison & Travaux continuellement à la main. Et Claude n'a qu'à paraître pour capter l'attention. Il trouble et ensorcelle avec un minimum d'effets (Ernst Umhauer est une révélation).

    Jamais encore il ne m'avait été donné de ressentir cette impression qu'un film s'écrit au fur et à mesure qu'on le regarde alors que le scenario est une impressionnante mécanique de précision. Ce n'est d'ailleurs sans doute pas un hasard si à un moment Germain et sa femme (Kristin Scott Thomas, sensationnelle en gérante d'une galerie d'art très spéciale, mais menacée de fermeture) vont au cinéma et s'arrêtent devant l'affiche de Match Point de Woody Allen. Leur couple d'intellos petits bourgeois, complice et finalement fragilisé ou mis à nu par l'intrusion de Claude, n'est pas sans rappeler celui que formait Woody Allen et Diane Keaton dans Meurtre mystérieux à Manhattan. On rit beaucoup à voir s'affronter leurs points de vue sur la vie, les êtres, l'art, le talent ou le génie. Et à observer leur hypocrisie aussi car le regard méprisant que porte le jeune homme sur la "famille ordinaire" reflète sans aucun doute leur propre opinion. Jusqu'où, sous prétexte de création, sont-ils capables d'aller pour que le récit de Claude devienne une oeuvre littéraire ? L'interprétation d'une oeuvre étant un des thèmes récurrent du film, notamment au travers de la galerie de la femme de Germain. On peut dire tout et n'importe quoi à propos d'une oeuvre, empiler des mot, s'extasier et parler d'art. La double apparition de Yolande Moreau en jumelles est un régal !

    Et à la question "peut-on abandonner toute morale sous prétexte de génie ?". Fabrice Lucchini répond sans hésitation "bien sûr, sinon, on ne lit pas Céline." Et l'acteur débarrassé de la moindre emphase du show man dont il est capable (un régal pour moi qui suis fan par ailleurs) est parfait dans ce rôle idéal du prof de français hyper cultivé. En rien un rôle de composition, puisqu'il empoigne sans cesse dans ce film tous les ouvrages dont il nous parle depuis des années. Flaubert en priorité. Un film qui donne envie de lire et qui brasse un nombre incalculable de thèmes sans sombrer dans un salmigondis psychologisant. Efficace, jubilatoire, cruel, immoral, simple et complexe. Le meilleur Ozon ?

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    Et n'oubliez pas que vous pouvez poser des questions à Denis Ménochet (formidable une fois encore ici), sur ce film mais pas uniquement bien sûr. Je vous laisse jusqu'à dimanche soir, le temps pour vous de voir le film.

  • L'HOMME QUI RIT de Jean-Pierre Améris ****

    FILM DE CLÔTURE DE LA MOSTRA DEL CINEMA - VENISE 2012

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    l'homme qui rit de jean-pierre améris,cinéma,gérard depardieux,marc andré grondin,christa théret,emmanuelle seigner

    Ne vous réjouissez pas trop vite, je continue encore de me gondoler quelque temps et ne suis d'ailleurs pas pressée de rentrer.

    Mais je tiens néanmoins à vous dire quelques mots à propos de ce film qui me tient particulièrement à coeur et que j'ai donc vu samedi en clôture de la Mostra de Venise. Il est évident que je vous en reparlerai jusqu'à plus soif au moment de sa sortie nationale le 26 décembre prochain.

    Le film est inspiré de l'oeuvre dense, complexe, passionnante et intimidante de Victor Hugo. Une histoire terrible et incroyable. Celle de deux enfants. L'un Gwynplaine défiguré dès son plus jeune âge par une cicatrice qui donne à son visage un sourire permanent, victime des comprachicos qui a l'époque enlevaient ou achetaient les enfants, les mutilaient pour les exposer comme des monstres. L'autre Déa, une fillette aveugle que Gwynplaine a sauvée de la mort une nuit de tempête. Les deux enfants abandonnés, orphelins sont recueillis pas Ursus, un saltimbanque, philosophe et guérisseur. Sous des dehors rugueux et misanthrophe le vieil homme dissimule des trésors de tendresse et de bonté. Incidemment, il découvre que le visage du garçon provoque l'hilarité et c'est ainsi que le spectacle de "L'homme qui rit" voit le jour. La petite troupe sillonne alors avec bonheur les routes d'Angleterre. Gwynplaine et Dea s'aiment et deviennent inséparables, sous l'oeil bienveillant et inquiet d'Ursus qui sait que pour vivre heureux il est préférable de vivre cachés. Les foules se pressent pour découvrir Gwynplaine, lui assurent une célébrité sans cesse croissante jusqu'à arriver aux oreilles de la Cour...

    D'emblée il faut écarter l'idée de l'adaptation à la lettre d'une oeuvre littéraire grandiose et colossale. Il s'agit ici de la vision d'un réalisateur à propos d'une histoire qui le hante depuis ses quinze ans. L'histoire de deux adolescences meurtries par la différence. Alors que le handicap de Dea aveugle semble vécu sereinement, Gwynplaine souffre de son apparence. Comment en étant à ce point différent, monstrueux, trouver sa place dans ce monde et être heureux ? Rien que l'idée d'évoquer cette douleur, celle de ne jamais se sentir à sa place suffit à me bouleverser. Et le film l'est, bouleversant, par la grâce de cette vision personnelle qui transforme l'oeuvre, sans jamais la trahir, en un conte horrifique, terrifiant sans pour autant négliger un humour apaisant alors que le drame pèse inéluctablement. Et par celle d'acteurs véritablement habités par la beauté et la puissance de leurs personnages. Chacun semble avoir compris que "La vie n'est qu'une longue perte de tout ce qu'on aime". Malgré cette menace qui les nargue, Gwynplaine s'abandonne un temps à l'illusion d'être accepté sans masque, malgré sa différence et à celle encore plus folle de changer le monde puisqu'il obtient soudainement le pouvoir de siéger au Parlement. Sa diatribe face à la Reine et aux parlementaires : "Ce qu'on m'a fait, on l'a fait au genre humain", puissante, bouleversante vire à la farce. Des bouffons ridicules le remettent à sa place, trop tard.

    Dans un décor de carton pâte assumé, revendiqué, Jean-Pierre Améris ne cherche pas la réconstitution historique. On ne verra donc pas de "carrosses rouler devant des châteaux du XVIIIème siècle". On restera plutôt concentrés sur les personnages principaux et leurs visages, même si l'ambiance "timburtonnienne" évoque Edward aux Mains d'Argent et la mer synthétique celle admirable du Casanova de Fellini. Mais qu'on ne s'y trompe pas, le sublime, génial, inoubliable Joker composé par Heath Ledger s'inspire totalement de l'Homme qui rit de  Victor Hugo (et non l'inverse). Il n'y a donc rien de paradoxal à ce que le "masque" de Gwynplaine l'évoque de façon aussi troublante. Mais alors que le Joker blessé aussi au plus profond de sa chair n'aspire qu'au mal, Gwynplaine est d'abord un jeune héros courageux qui a sauvé une fillette, puis un homme honnête qui rêve de justice et d'amour. Marc-André Grondin incarne avec une belle présence inquiète et naïve cet être meurtri, aimé au-delà de ce qu'il espère et totalement ébloui par cet amour.

    Emmanuelle Seigner belle et cruelle Duchesse se servira un temps de Gwynplaine pour surmonter un ennui abyssal et l'utilisera comme une distraction. Elle verra en lui le véritable miroir de son âme noire. "Ce que tu es dehors, je le suis dedans". Et l'actrice offre à son personnage une intensité et une fêlure touchantes qui évoquent la Madame de Merteuil des Liaisons Dangereuses. 

    Dea est la jeune fille pure qui aime et protège Gwynplaine, parfois malgré lui. Elle connaît l'essentiel invisible pour les yeux. Elle ne peut comprendre que Gwynplaine craigne qu'elle ne l'aime plus si elle  venait à découvrir sa laideur. "Comment peux-tu être laid puisque tu me fais du bien ?". Christa Théret, une nouvelle fois surprenante incarne avec une grâce magnifique cet ange aveugle, simple et vertueux. Elle est d'une expressivité réellement impressionnante empruntée aux grandes actrices du muet. Et ici comme une réincarnation, jusque dans ses gestes de la Virginia Cherril des Lumières de la ville de Charlie Chaplin.

    Quant à Gérard Depardieu, jamais aussi bon que dans les grands classiques qui ont contribué à sa gloire, il est ici exemplaire de sobriété. D'une présence forcément imposante, il laisse néanmoins toute la place à ses partenaires et à cet ange fragile et gracile qu'est ici Christa Théret. Et pourtant chacune de ses apparitions alternativement drôles ou bouleversantes le rendent une fois encore inoubliable dans ce rôle de père déchiré, impuissant à sauver ses enfants de leur destin.

    Jean-Pierre Améris nous saisit donc dès la première image implacable et cruelle et ne nous lâche plus jusqu'au final poignant. Il concentre son histoire en une heure trente, sans digression inutile accompagnée d'une musique ample et idéale. Et c'est à regret que l'on quitte ces personnages follement romanesques et romantiques. 

  • LA PART DES ANGES de Ken Loach ****

    La Part des Anges : photoLa Part des Anges : photo

    Pendant les premières minutes on se croirait devant le film de Raymond Depardon 10ème chambre, instants d'audience. De jeunes délinquants défilent à la barre d'un tribunal de Glasgow. Leurs avocats tentent de défendre les causes plus ou moins perdues de ces récidivistes d'agressions, vols et autres délits. Une juge, sensible à la prochaine paternité de Robbie et au fait qu'il a réussi à préserver une relation de couple avec Leonie, future mère de l'enfant à venir, le condamne à une peine de travaux d'intérêt général. C'est ainsi qu'il fait la connaissance de Rhino, Albert et Mo, qui eux aussi ont échappé à la prison. La rencontre avec Henri éducateur paternel, compréhensif et humain va changer leur vie et plus particulièrement celle de Robbie. Contre toute "légalité", Henri emmène les jeunes gens visiter une distillerie en dehors des heures de travaux d'intérêt général et les initie à l'art de la dégustation. Rapidement Robbie se prend de passion pour ce breuvage qu'il ne connaissait pas : le whisky et devient un dégustateur hors pair...

    Ken Loach décide pour cette fois d'offrir une vraie seconde chance à son héros et réalise un film résolument optimiste sans pour autant sombrer dans l'angélisme et le ravissement. Malgré une poisse persistante qui lui colle aux basques, une fatalité et une malchance qui le poursuivent et le rattrapent souvent, une violence instinctive qui ne demande qu'à s'exprimer, Robbie décide de s'en sortir. Pour l'amour d'une femme et d'un enfant. Dès qu'il tient ce tout petit bébé dans les bras, son fils, le jeune homme est transformé. Il se sent devenir important et responsable. Et pourtant ce ne sont pas les épreuves qui vont manquer et s'accumuler pour s'interposer entre lui et cette promesse de vie meilleure. La mouise dans laquelle il se débat à peine, le squat crasseux qu'il occupe, les tabassages de son beau-père qui ne veut plus qu'il revoit sa fille, la haine héréditaire d'un type et de sa bande... Robbie a toutes les raisons de penser qu'il ne s'en sortira jamais.

    Après avoir installé l'environnement dans un contexte social désespérant et une première partie démoralisante, Ken Loach se tourne délibérément vers la comédie alcoolisée et nous offre un Ocean's eleven avec quatre pieds nickelés (dont un particulièrement bas de plafond) qui  vont mettre au point une entourloupe plutôt géniale. Mais forcément hors la loi. Donc, on va trembler pour nos quatre gugus tant leur "coup" semble mal et vite préparé et le suspens sera particulièrement réjouissant. Rire franchement dans un Ken Loach, n'est-ce pas la preuve que ce grand réalisateur infatigablement en colère peut encore nous surprendre ? La part des anges (l'explication du titre est donné doctement dans le film) est une réussite totale. D'une simplicité exemplaire, le scénario nous balade et nous surprend par ces détours burlesques et inattendus. La visite d'une distillerie et une séance de dégustation avec un véritable spécialiste de renom sont insérés opportunément et intelligemment comme deux documentaires à l'intérieur de la fiction.

    Quant à Robbie, petite frappe au visage couturé et regard pénétrant, il est interprété par Paul Branigan, un non professionnel découvert par hasard alors qu'il participait à un programme destiné aux jeunes des quartiers défavorisés. Il est incroyable, d'une justesse et d'une profondeur extraordinaires.

  • STARBUCK de Ken Scott ***(*)

    Starbuck : photoStarbuck : photoStarbuck : photo

    A la fin des années 80 au Québec, non pour se faire un peu d'argent de poche mais pour une très jolie cause..., David Wosniak a été donateur très prolifique pour une banque de sperme. Pour chaque don il remportait 35 €uros. Il a complètement oublié cet épisode jusqu'à ce que 20 ans plus tard, un avocat lui annonce que sur ces 600 et quelques offrandes, 533 ont été suivies d'une naissance. Aujourd'hui 130 de ses rejetons se sont associés pour rechercher leur géniteur. David apprend en même temps que son amie est enceinte. Consciente que cet éternel ado est incapable d'élever un enfant, elle entend bien le faire seule. De son côté David fait intervenir son meilleur ami avocat pour que la justice lui reconnaisse le droit de continuer à préserver son anonymat.

    Le titre n'a rien à voir avec une certaine marque de breuvage. Il s'agit du nom d'un légendaire taureau canadien à la génétique parfaite qui a révolutionné le monde de l'insémination artificielle. C'est aussi le pseudo choisi par David à chaque fois qu'il a donné son sperme. David n'entend pas  donner suite à la requête de sa nombreuse descendance mais la curiosité lui fait ouvrir le dossier contenant la fiche de chacun de ses "enfants". C'est ainsi que l'un après l'autre David va rencontrer, avec un art consommé de la ruse, ces jeunes gens auxquels il va s'attacher au point de devenir pour eux un ange gardien, à défaut d'avoir pu être un père.

    Quand on découvre ce genre de pépite improbable on se dit que l'imagination des scénaristes et réalisateurs est un puits sans fond et qu'on peut leur faire confiance pour continuer à nous surprendre. Quelle façon incroyablement insolite de traiter de la paternité ! Car malgré les contours épais mais hilarants de la grosse farce, c'est bien de cela qu'il s'agit. Comment être, devenir, rester père ? Les femmes ou plus exactement les mères sont curieusement absentes, même si dans une scène à la fois cocasse et terriblement réaliste, la future maman fait part de ses angoisses. Pourtant sans elles rien n'est possible, mais sans eux non plus finalement. Et c'est ce qui est bon ici, voir et comprendre comment ces garçons vivent et appréhendent cette paternité qu'ils n'ont pas la possibilité d'expérimenter au même titre qu'une femme, forcément. Un jour la petite bestiole apparaît et ils doivent se déclarer père de cet enfant !

    Mais revenons-en à notre David, ce grand gamin mal dégrossi qui se fourvoie dans d'impossibles situations au point de devoir 80 000 dollars à des revendeurs de drogue qui viennent régulièrement lui faire goûter le fond de sa baignoire et le menacer de s'en prendre à sa famille. David comme ses frères travaille dans la boucherie familiale et même si son père lui assène : "tu repousses chaque jour les frontières de l'incompétence", il ne peut qu'ajouter : "malgré ça, on t'aime". Car oui, David est quelqu'un d'aimable, une espèce de gros nounours irrésistible, séduisant, charismatique. Un quarantenaire indécis, insouciant et  irresponsable qui provoque les pires situations mais à qui on ne peut jamais en vouloir. Alors évidemment, il y a de bons sentiments, des pleurs, des étreintes mais à aucun moment ce n'est gnangnan. Bien sûr David va se révéler profondément bon, lui qui n'était jusque là qu'égoïsme et légèreté, son coeur va se multiplier au fur et à mesure des rencontres, mais les situations sont réalistes, intelligentes, tendres, émouvantes, fortes ! Et comme tout le monde, le spectateur ne peut que tomber dans le panneau, rire, être ému et finalement céder à David, attachant comme rarement un personnage peut l'être au cinéma.

    Patrick Huard est David et c'est une révélation.

  • LE GRAND SOIR de Benoît Delépine et Gustave Kervern ****

    Le Grand soir : photo Benoît PoelvoordeLe Grand soir : photo Albert Dupontel, Benoît PoelvoordeLe Grand soir : photo Albert Dupontel, Benoît Poelvoorde

    • Benoît se vante d'être le plus vieux punk à chien d'Europe et il veut qu'on l'appelle NOT. Trois lettres qu'il s'est tatoué sur le front.  Il est SDF et traîne autour de la Zone Commerciale où son frère Jean-Pierre travaille dans un magasin de literie. Les deux garçons n'ont rien en commun que leurs parents, propriétaires du restaurant "La pataterie" aux rares clients. Ils leur rendent visite et s'ignorent admirablement. L'une des premières scènes illustre comme jamais le dialogue de sourds. Devant leur père (Areski Belkacem, surprenant d'indifférence), les deux hommes parlent en même temps, pas de la même chose, c'est une cacophonie sans nom et on sait dès cet instant qu'on est devant un film différent, unique. Jamais cette impression ne sera démentie au long d'une trop courte heure et demi où nous allons suivre les tribulations de ce couple insolite et soudé. Deux frères se trouvent et s'épaulent dans l'adversité, avec leurs moyens.
    • Après le déjà miraculeux Mammuth, Benoît Delépine et Gustave Kervern renouvellent le prodige et nous balancent en pleine tronche un film drôle, parce qu'ils ne peuvent faire autrement, mais aussi émouvant, dérangeant, social et libertaire, un cri de souffrance et de colère. Peut-on rire de tout ? Oui, nous disent-ils sans hésiter. Et pourtant on ne sort pas indemme de cette pantalonade d'une profondeur impensable. Pendant que Not traîne sa révolte qu'il semble ignorer jusque là, Jean-Pierre, marié, un enfant, s'applique dans un boulot sans intérêt jusqu'au jour où il découvre qu'il est bien placé pour faire partie de la prochaine charrette. Vous êtes en retard lui rabache son patron, sur les objectifs, sur l'horaire... en retard. Alors Jean-Pierre devient fou et anticipe son licenciement. Son "pétage de plomb" sera filmé par un téléphone portable. Impossible de nier l'évidence comme il tente de le faire pathétiquement. S'asperger d'essence et se foutre le feu en plein milieu du Centre Commercial, voilà la solution. Mais personne ne bouge. Ou se battre avec un arbre chétif planté au mileu du passage... deux scènes proprement hallucinantes ou Albert Dupontel laisse éclater sa rage et son incompréhension.
    • Finalement Not, son frère, le SDF méprisable, sera le seul à lui redonner espoir, à lui promettre le grand soir. Tout faire péter pour que tout change. Mais avant cela, il faut apprendre à mendier pour manger un peu. La méthode de Not/Poelvoorde est hilarante à l'écran mais comment réagirions-nous si un gugus à crête d'iroquois s'y prenait ainsi dans la vraie vie ? C'est aussi cela qui met mal à l'aise et nous renvoie à notre confort, à notre soif d'avoir plutôt que d'être ! Poelvoorde est un acteur prodigieux ici, très amaigri (t'as déjà vu un punk obèse ?) et bouleversant. La scène où il braille sa colère au supermarché est renversante, poignante, révoltante. Mais que ferions-nous si un tel énergumène agissait ainsi sous nos yeux ?
    • Et c'est ce moment où les deux hommes sont au plus mal que leur mère (Brigitte Fontaine, idéale et infiniment touchante quand elle scande conne, conne, conne) choisit pour leur faire une délicate révélation. Pour les rendre libres dit-elle, eux qui n'ont jamais été adultes.
    • C'est tout à fait troublant de voir ce film qui parle d'un monde qui ne fonctionne plus du tout, un jour après avoir vu le très chic, confus et inutile Cosmopolis qui ne trouble à aucun moment tant la méthode est maladroite (pour être polie). Le choix de filmer Le Grand Soir pratiquement exclusivement dans une zone commerciale déshumanisée comme il y en a partout en France et en Europe, avec les enseignes franchisées, toujours et immanquablement les mêmes, est une idée de génie. Cela peut être n'importe où, ici ou ailleurs et chacun peut avoir l'impression que le film a été tourné près de chez lui. Cela donne aussi des plans magnifiques alors qu'on se trouve sur des parkings, des ronds-points, dans des magasins et isolent davantage les personnages. Ils traînent leur malaise et leur désarroi dans des décors sans âme où on les ignore. Et les réalisateurs accumulent les trouvailles subtiles pour enchaîner les scènes. Comment insérer un concert des Wampas au milieu de cette errance punk ? Il suffit d'un rêve, voire deux et ainsi Dupontel et Poelvoorde (prodigieux l'un et l'autre, je l'ai dit ?) s'offrent une transe incroyable. Chaque acteur a à son tour son petit moment de bravoure. Brigitte Fontaine épluche des pommes de terre et on ne voit que son rouge à ongles fluo. Areski Belkacem et Bouli Lanners déclinent toutes les formes de conjugaison du verbe aller, et c'est hilarant... On rit beaucoup, mais comme dans Mammuth, le rire se teinte parfois de jaune. Et comment conclure un tel film ? Pourquoi pas en rédigeant une phrase poignante et troublante. Mais là encore, de quelle façon ? Je vous le laisse découvrir.
    • Dupontel et Poelvoorde sont assortis et complémentaires, ahurissants de bout en bout, comme en équilibre sur un fil, mais plus encore Benoît Poelvoorde, époustouflant, différent, border line, tourmenté comme jamais.
  • LE POLICIER de Nadav Lapid ***(*)

     Le Policier : photoLe Policier : photo

    Yaron fait partie d'une unité anti-terroriste d'élite de la police israëlienne. Avec ses collègues ils forment une équipe soudée par l'amitié. C'est également ensemble qu'ils passent leur temps de loisirs et leurs week-ends, accompagnés de leur famille. De leur côté Shira, Nathanaël et leurs amis n'ont qu'un leitmotiv ; "Il est temps pour les pauvres de s'enrichir, pour les riches de mourir", et entendent le faire savoir dans les plus brefs délais. Yaron et Shira vont se rencontrer, brutalement, de façon fugace.

    Je suis allée voir ce film sans en rien savoir, seulement parce qu'il était israëlien. Et j'ai bien fait, je suis allée de surprise en stupéfaction, ne sachant strictement rien du synopsis ni de ce que j'allais découvrir. Je vous recommande donc d'en faire autant. Allez voir ce film dans le même état d'esprit et de la même façon que moi, puis revenez éventuellement lire la suite et me dire à quel point vous avez aimé car ce film ne ressemble à aucun autre et fait partie des meilleurs que j'ai vus cette année !

    Chapitre 1. On découvre Yaron et ses compagnons en plein exercice physique. Les garçons attaquent sans la moindre difficulté sur leurs biclous, l'ascension d'une belle grimpette. La route est magnifique quoique désertique. Lorsqu'ils s'arrêtent c'est pour s'extasier devant le "plus beau pays du monde" qui est le leur. Chacun hurle son prénom et l'écho leur renvoie. Les présentations sont faites. Yaron retrouve chez lui sa femme enceinte. Une grossesse pathologique qui la maintient allongée jusqu'à l'accouchement qui ne saurait tarder. Il la masse langoureusement en préparation à l'accouchement, esquisse quelques pas de danse pour la faire rire puis retrouve ses amis et collégues.

    On apprend qu'un des membres de l'équipe est atteint d'une tumeur au cerveau et qu'ils sont tous par ailleurs accusés d'avoir réglé un peu nerveusement une opération terroriste qui ressemble davantage à une exécution. Ce que leur avocat leur propose est tout simplement sidérant. Chut, je ne dis rien.

    En quelques scènes explicites mais sans s'encombrer de dialogues indigestes, le réalisateur nous présente cette unité d'élite où la virilité s'exhibe comme un trophée et l'amitié masculine comme une évidence. Yaron est fou de son corps et de ses muscles et ne perd pas une occasion de faire des exercices pour parfaire encore son apparence. Il s'admire dans les miroirs. Et il est difficile de se retenir de rire franchement à voir ces (très beaux) garçons, (merci Monsieur Lapid, qui lui-même n'est pas désagréable à regarder) ne cesser leurs accolades et diverses embrassades à la moindre occasion. Sans parler de ce jeu stupide qui consiste à mettre deux équipes face à face et à se précipiter les uns sur les autres en hurlant et en s'aggripant. Pour finir par se complimenter et s'embrasser à nouveau ! Ici le garçon israëlien est viril et musclé. C'est joli et marrant et peut s'avérer utile lorsqu'on est une baleine enceinte incapable de monter un escalier. Yaron soulève sa femme comme une plume et gravit les étages sans le moindre effort. Il fête dans la plus pure tradition l'anniversaire de sa maman chérie, parle à qui veut l'écouter de sa toute prochaine paternité qui l'intimide, se saisit d'un bébé pour venir se contempler devant un miroir et s'assurer que le nouvel "accessoire" ne nuit pas à son reflet. Et tout cela avec le plus profond sérieux.

    Chapitre 2. Dans un luxueux appartement, Shira, une jeune femme prépare un attentat avec ses camarades, 3 garçons, dont le charismatique Nathanaël qu'elle aime en secret. On découvrira plus tard que sa détermination, son obstination sont bien supérieures à celles des garçons. Et l'amateurisme avec lequel leur prise d'otage est effectuée en contradiction avec la radicalité de leur engagement.
    C'est là que le film prend une dimension supplémentaire. C'est rare de voir un film israëlien où le conflit avec les palestiniens n'est pas (ou à peine) évoqué. Même si la haine des "arabes" est très clairement affichée à plusieurs reprises. Les films relatent régulièrement et presqu'exclusivement cet aspect de la vie au moyen-orient alors qu'ici il est clairement question de la fracture sociale dans un pays divisé entre les riches de plus en riches et les pauvres de plus en plus pauvres !

    Chapitre 3. La prise d'otage et sa résolution. Et c'est comme si on avait trois films en un seul. Et chaque partie est traitée avec précision. Le réalisateur prend son temps quitte à déstabiliser le spectateur qui s'interroge parfois : mais où veut-il en venir ? Tout prend corps et sens peu à peu. Et on sait gré à Nadav Lapid d'avoir réussi à installer une ambiance, un climat, d'avoir étiré les scènes pour en accentuer l'intensité jusqu'au malaise et surtout d'avoir réussi une analyse psychologique en profondeur de chacun de ses personnages.

    Un grand film déroutant, dérangeant et totalement inédit où les acteurs ne se contentent pas d'être (très) beaux.

  • TYRANNOSAUR de Paddy Considine ****

    Tyrannosaur : photoTyrannosaur : photoTyrannosaur : photo

    Joseph est un homme seul, alcoolique, parfois violent et toujours au bord de l'implosion. Pour seul compagnon il n'a qu'un chien sur qui il passe ses nerfs à vif et qu'il tue malencontreusement. Joseph n'est pas un garçon sympathique et on n'a guère envie de le croiser au coin d'une rue. En outre, son meilleur pote est en train de mourir d'un cancer et la fille du mourant tolère tout juste ses visites faisant de lourds sous-entendus sur les comportement passés de Joseph. Quant à son petit voisin, un gamin triste et solitaire, il est régulièrement terrorisé par le pittbull du petit ami de sa mère...

    Un jour que Joseph cogne son désespoir à tous les murs de la ville (Glasgow, quartiers pauvres), il entre, se réfugie, se cache dans un magasin tenu par une femme très pieuse qui l'accueille sans lui poser de questions et se met à prier pour lui. Hannah est une femme encore jeune mais qui semble fatiguée et d'une extrême tristesse. Le lendemain Joseph revient la voir et se montre partiulièrement odieux avec elle, comme ça, sans raison.  Comme s'il était le seul à porter tout le chagrin du monde.Puis il découvre qu'Hannah n'est pas la femme qu'il imaginait mais que pour elle aussi la vie est un fardeau. Quotidiennement humiliée, battue voire violée par son malade de mari, elle trouve en Joseph, cet homme instable et imprévisible un réconfort totalement inattendu. Lui-même refuse de croire qu'elle puisse se sentir en sécurité avec un homme tel que lui.

    Parfois les acteurs anglais se mettent à la réalisation et cela donne des films aussi forts et dérangeants que War zone de Tim Roth ou Ne pas avaler de Gary Oldman. Des films dont on sort complètement sonnés et qu'on n'oublie jamais. Paddy Considine, acteur lui aussi, propose pour sa première réalisation un drame social d'une rare intensité qui nous met également KO. Même si contrairement à ses deux aînés qui ne donnaient aucune chance à leurs personnages, Paddy Considine laisse entrevoir une toute petite lueur d'espoir. Sans doute a t'il davantage confiance en l'humanité malgré la bestialité de certains de ces personnages dont son héros, jamais bien loin de se servir d'une batte de base-ball. La noirceur sans fond et sans fin de certaines scènes, la violence de certains actes et de certaines paroles cèdent parfois la place à des moments de grâce et de douceur où se mèlent tendresse et compassion. Ainsi cette longue et magnifique scène (muette) d'enterrement où l'hommage au défunt donne à chacun l'occasion de laisser libre court à sa joie, sa tristesse et d'accéder au pardon.

    Sans angélisme malgré la bonté, la sensibilité et la générosité qui émergent de la carapace de ces héros cabossés, sans misérabilisme malgré l'extrême dureté des situations (les scènes d'humiliation d'Hannah sont particulièrement éprouvantes, comme celles qui illustrent la vie du petit garçon...), le réalisateur réussit un film sombre et douloureux en restant digne et en échappant au voyeurisme. On sait que cette batte de base ball ou ce pittbull ne sont pas là pour rien ni par hasard et on ne cesse de craindre le moment où ils entreront en scène. Et ce ne sont pas les moindres "surprises" que réservent l'histoire de ces abandonnés.

    Paddy Considine a de plus la chance, la pertinence et le flair de pouvoir s'appuyer sur deux acteurs immenses qui se sont emparés de leurs personnages avec tendresse et passion. Ce que Peter Mullan et Olivia Colman font ici tient tout simplement du génie. Olivia Colman s'abandonne totalement à son rôle de femme maltraitée, bafouée, généreuse et complexe, en demande d'amour insensée. Elle est bouleversante. Quant à Peter Mullan et son beau visage scuplté de ses chagrins, de ses regrets et de ses remords, il exprime comme rarement un acteur l'a fait toutes les émotions qu'un être humain est capable de ressentir. Son état de sidération silencieuse dans lequel les révélations d'Hannah le plonge est un des moments les plus intenses de ce grand film profond, fort et subtil.

  • NANA de Valérie Massadian ****

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    Nana a 4 ans et elle assiste sans broncher avec deux autres enfants à l'abattage d'un cochon dans une ferme. Puis elle accompagne son grand-père dans une promenade à travers champs et forêt. Enfin, elle rentre chez elle avec sa mère dans une maison isolée en pleins bois. Un jour, sans doute après l'école, Nana se retrouve seule dans la maison, plusieurs jours peut-être...

    Ce conte cruel et impressionnant nous propose d'accompagner pendant un peu plus d'une heure une toute petite fille incroyable qui va devoir comme une grande faire face sans faiblir à tout ce qui peut arriver à un enfant si petit laissé seul. Pendant une heure, quasiment en apnée, le spectateur est plus terrifié que l'enfant. Nana s'occupe, prend un livre, détache avec obstination un lapin mort pris dans un collet, rassemble ses jouets sur une nappe, sur un canapé. Elle bougonne, raconte, soupire, s'habille toute seule comme une grande. Même lorsque sa mère est là, elle n'obtient aucune aide pour couper sa viande. On a envie de secouer la mère, une jeune femme perdue, triste, inconsciente. On ne saura rien d'elle que ce mot laissé à son père qui en dit si peu et si long... : "répare le portail. Signé : ta fille". On a envie de prendre Nana dans ses bras et on ne peut qu'assister inquiet à tous les dangers auxquels elle s'expose sans pleurer jamais.

    Etrange et magnifique film qui explore l'enfance d'une bien curieuse façon. La réalisatrice semble nous dire qu'un enfant est un combattant et que rien ne peut lui arriver. Il faut dire que sa fabuleuse interprète Kelyna Lecomte accomplit des miracles en étant seule à l'écran pratiquement tout le temps avec une force et une présence impressionnantes. De très longs et magnifiques plans séquences fixes permettent à Nana de s'exprimer et nous en foutre sacrément plein la vue. On y retrouve "Ponette" pour la dureté des épreuves qu'elle endure, mais aussi la petite Paulette de "Jeux interdits" pour sa façon insouciante d'appréhender la mort à travers celle des animaux. Quand enfin, on voit Nana exploser de rire grâce à un jeu stupide, on se dit que vraiment l'enfance a raison de tout et n'a peur de rien.

  • MILLENIUM : LES HOMMES QUI N'AIMAIENT PAS LES FEMMES de David Fincher ****

    Millenium : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes : photo Daniel Craig, David FincherMillenium : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes : photo David Fincher, Rooney MaraMillenium : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes : photo David Fincher, Rooney MaraMillenium : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes : photo Daniel Craig, David Fincher

    Petit rappel du propos pour ceux qui n'auraient ni lu les pavés de Stieg Larson (c'est mon cas, mais cette fois j'ai envie !) ni vu la précédente version suédoise d'un réalisateur qui n'a pas imprimé la pellicule (pardon à la famille) : Mikael Blomkvist journaliste star de la revue "Millenium" perd un procès en diffamation contre un industriel. Henrik Vanger, grand magnat suédois lui aussi, profite de cet échec et de la mise à l'écart de Mikael et lui propose d'enquêter sur le meurtre de sa jeune nièce Harriet 40 ans plus tôt. Le coupable n'a jamais été retrouvé mais il s'emploie depuis 40 ans à envoyer un cadeau très personnalisé au vieil homme convaincu que c'est un membre de son abominable famille qui en est responsable. Mikael accepte et se voit imposer la présence comme co-enquêtrice de Lisbeth Salander, hackeuse informaticienne exceptionnelle mais jeune femme étrange, solitaire au passé et aux comportements troubles et troublants. La complémentarité des deux va faire des miracles et mener rapidement sur la piste d'un serial killer d'une cruauté sans nom et à percer les secrets pas reluisants d'une famille détestable.

    Difficile d'éviter la comparaison avec la précédente adaptation qui n'est vraiment pas à l'avantage de la version suédoise même si sa médiocrité donnait néanmoins l'envie irrépressible d'en savoir plus et surtout de connaître le sort de Lisbeth Salander. Difficile aussi d'éviter les superlatifs tant cet opus "fincherien" place haut ce thriller horrifique dans la catégorie des grands épisodes du genre. Et pourtant, s'il n'y avait la présence de Daniel Craig (parfait, plus que parfait, j'y reviendrai) je ne me serais sans doute pas précipitée pour voir un film dont je connais déjà parfaitement le dénouement. Malgré cela, le réalisateur triomphe de cette histoire connue par sa façon unique, judicieuse et efficace de démêler l'écheveau qui trace la piste du criminel. Il nous plonge au coeur de l'enquête, minitieusement décryptée par ses deux limiers de choc, un peu comme dans son inoubliable "Se7en", modèle inégalé du genre. Alors qu'est-ce qui fait la différence avec la tentative suédoise ? Fincher approfondit tout, ne laisse rien en suspens et décortique l'intrigue et les personnages en les rognant jusqu'à la substantifique moëlle ! Evidemment, il se concentre plus intensément sur Lisbeth et Mikael dont la personnalité et le charisme font merveille mais aussi sur leur relation plus plausible voire attendrissante ici. Si Noomi Rapace était absolument seule à soutenir sur ses frêles épaules éprouvées le personnage monstrueux de Lisbeth et le film tout entier, ils sont deux ici et les personnages secondaires ne sont pas pour autant négligés. Bien sûr la famille offre à voir une belle collection de pourris certes assez monolythiques mais en une seule réplique le réalisateur règle son compte à la prétendue neutralité suédoise lors de la seconde guerre mondiale grâce au personnage du vieux Vanger qui croupit dans ses souvenirs nazis. Tous les membres de cette famille désunie qui continue néanmoins de vivre sur le même îlot, loin des regards du monde s'observent les uns les autres, ne se parlent plus depuis de nombreuses années. Tous cachent des secrets qu'ils éludent et sont plutôt enclins à accabler les autres. Il faut dire qu'ils n'ont jamais rien fait d'autre que vivre bercés par la haine, la barbarie, les scandales...

    Au milieu de ce panier de crabes nauséabond s'installent donc Lisbeth et Mikaël à qui l'on met à disposition une petite maison sur l'île pour les besoins de l'enquête. Ils sont au centre de l'histoire, au coeur du film et on se désintéresse presque de l'enquête pour les suivre eux, pas à pas ! Ils lui donnent son âme. La première apparition de Daniel Craig en Mikael Blomkvist est rassurante et formidable. On oublie immédiatement James Bond. Séduisant, élégant, déterminé, il est ce journaliste opiniâtre, intellectuel mais le côté sportif inébranlable rompu à toutes les situations est gommé. C'est d'ailleurs la frêle Lisbeth qui le sauvera d'une bien fâcheuse posture. La fragilité nouvelle de Daniel Craig qui résiste (très peu) à Lisbeth en lui disant "je suis trop vieux pour toi" est touchante et absolument crédible. C'est lui qui aura un haut le coeur devant le cadavre d'un chat, pas elle. C'est lui qu'elle recoudra avec du fil dentaire lorsqu'il sera blessé... L'humour de leur improbable couple pourtant évident (oui je sais c'est contradictoire !) fait mouche à plusieurs reprises.

    Le film, d'une efficacité remarquable est donc encore enrichi par l'interprétation subtile et magistrale de Daniel Craig et Rooney Mara.
    Venons en à Rooney Mara. On l'a échappé belle, je viens juste de lire que Léa Seydoux a passé des essais... Le cas Lisbeth Salander donc, héroïne invraisemblable au look agressif et pourtant qu'on a envie d'aimer, de protéger, de sauver. On s'y attache. Noomi Rapace était déjà responsable du seul intérêt, pardon d'y revenir encore, du film suédois. Elle était fabuleuse, extraordinaire, inoubliable. Tant et si bien qu'imaginer une autre actrice pour l'interpréter relevait pour moi de la haute trahison. Evidemment, avoir échappé à Léa Seydoux est rassurant. Mais il se trouve que Rooney Mara s'empare du personnage de Lisbeth et nous la rend indispensable. On s'attache très fort à cette fille à l'enfance et à la vie totalement brisées. Sa démarche rapide et un peu voûtée, sa façon de longer les murs tête baissée pour tenter de passer inaperçue, son regard fuyant, méfiant, inquiet... tout dans ses attitudes contraste avec son look voyant, provoc' et agressif. C'est comme si elle cherchait à disparaître tout en étant très voyante. La noirceur de ses cheveux, ses sourcils blonds, ses piercings, ses multiples tatouages, ses coiffures, son apparence très travaillée ajoutent encore à l'étrangeté du personnage. Et son travestissement vers la fin de l'épisode révèle une fille d'une beauté et d'une élégance époustouflantes. Cette Lisbeth au passé catastrophique et perturbant n'en finit pas d'endurer des épisodes traumatisants. Les scènes avec son nouveau tuteur (elle est pupille de la nation déclarée irresponsable et placée sous tutelle) sont d'une rage et d'une cruauté comme on n'en voit peu. Elle aurait pu développer une haine farouche et tenace de l'humanité mais elle est encore capable d'éprouver des sentiments envers son ancien tuteur hélas victime d'un AVC et il semble évident que son attirance pour Mikael se transforme en un attachement qui la surprend elle-même. Mais cette nunuche de Mikael paraît aveugle malgré ses lunettes d'intello... Et la dernière scène est un crève-coeur !

    Lisbeth Salander est irrésistible, Rooney Mara est exceptionnelle.