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2 **** INDISPENSABLE - Page 54

  • Slumdog millionnaire de Danny Boyle ****

    Slumdog Millionaire - Dev PatelSlumdog MillionaireSlumdog MillionaireSlumdog Millionaire - Dev Patel et Freida Pinto

    Le jeune Jamal, orphelin des bidonvilles de Mumbaï (Inde) est candidat du jeu télévisé « Qui veut gagner des millions » (20 millions de roupies là-bas...). Alors qu’il ne lui reste plus qu’à répondre à une seule question, il est soupçonné de tricherie. La police lui fait subir un interrogatoire plutôt musclé où il doit justifier chacune de ses réponses.

    Gloire à Danny Boyle qui continue film après film de garder intacts son enthousiasme et sa passion pour le cinéma, de nous les communiquer et de surprendre encore et encore. Il raconte cette histoire dramatique et optimiste avec une énergie folle, un sens du suspens et du réalisme très cohérent. Le montage, même s’il devient systématique (chaque question du jeu donne lieu à un épisode de la vie de Jamal) ne gâche en rien le plaisir et l’inquiétude que l’on prend à suivre dès l’enfance, l’itinéraire difficile et l’ascension du jeune homme. Tout est douloureux dans la vie de Jamal, depuis sa toute petite enfance où il est le souffre douleur de son frère aîné et où il assiste au meurtre de sa mère lors d’une manifestation « religieuse », jusqu’au passage dans la fameuse émission où le présentateur ne possède pas l’affabilité de notre Jean-Pierre national et se montre ironique et méprisant face à ce candidat qui lui ressemble sans doute trop. Danny Boyle n’élude en rien l’aspect social de la vie en Inde où les bidonvilles sont peu à peu remplacés par des quartiers d’affaires mais où les enfants livrés à eux-mêmes font l’objet d’odieux trafics et d’exploitation.

    Une histoire d’amour évidente viendra éclairer ce drame sombre aux couleurs chamarrées. Et, curry sur le riz, tous les acteurs y compris les enfants sont fabuleux, en particulier le jeune couple vedette, sans cesse séparé par le destin, qui fait preuve d’une belle complicité jusqu’au générique (il faudra qu’on m’explique pourquoi les gens quittent la salle alors que les acteurs font un beau numéro bollywoodien ? Et puis non, qu’on ne me l’explique pas).

    Vous l’avez compris, c’est passionnant, énergique, coloré, douloureux, sincère et heureux malgré les drames qui se jouent.

  • Che : l’Argentin de Steven Soderbergh ***(*)

    Che - 1ère partie : L'Argentin - Affiche espagnole

    Cette première partie retrace, en quelque sorte, « l’ascension » du Che quand il n’était encore qu’Ernesto Guevarra jusqu’à ce qu’il devienne le « Commandante » et fasse une entrée triomphale à Santa Clara. Pour faire court, je dirais que le film débute lorsque Raul Castro présente Guevarra à son frère Fidel et qu’ils décident d’organiser la guérilla puis la révolution en vue de renverser le dictateur Cubain Batista dans les années 50.

    Il fallait bien qu’un jour la vie hautement romanesque et cinématographique du Che soit mise en images. Etrangement, c’est un américain qui s’y colle et c’est une réussite totale loin de tout exotisme ou romantisme. Si on ne trouve dans cette première partie aucune aspérité concernant la personnalité complexe du personnage, Soderbergh n’en fait pour autant pas un Dieu indétrônable. Mais de toute façon on se fiche un peu de savoir si le Che avait ou non toutes les qualités parce que le film est remarquable. Le réalisateur s’applique davantage à nous montrer l’homme et surtout le combattant sous l’icône photographique et symbole de toutes les révolutions. On ne le quitte pas d’une semelle et ce sera long d’attendre la seconde partie pour le rejoindre. Cela dit, la description de la préparation de cette révolution aurait plutôt tendance à couper toutes velléités aux rebelles en herbe tant on est loin du romantisme habituel. La révolution c’est chiant, ça fait transpirer, ça se prépare les pieds dans la boue et les mains dans le sang parfois. Gueverra est médecin et doit souvent faire office de soignant auprès de ses compagnons ou des villageois. On ne mange pas toujours à sa faim, on saute des repas, on attend beaucoup, on s’ennuie, on est déçu. Et le Che doit être le seul révolutionnaire à prendre une ville avec un bras dans le plâtre, sans parler de ses crises d’asthme très très handicapantes en pleine jungle tropicale irrespirable, j’en sais quelque chose (mais non, je n’ai pas fait la révolution à Cuba… mais des crises d’asthme, oui).

    Soderbergh réussit un montage des plus captivant, sautant d’une période à l’autre, d’une interview à New-York en 64, à l’intervention du Che à l’Onu et à son brillant discours pour nous replonger ensuite au fin fond de la jungle, sans nous perdre jamais. Il parvient même à conclure ce premier chapitre sur une note humoristique qui confirme encore les qualités hautement morales et l’idéologie exemplaire de son héros.

    Evidemment, si le film est indiscutablement beau et palpitant, que serait-il sans son incomparable interprète ? Benicio Del Toro EST devenu (physiquement) le Che, on ne peut que l’admettre. Calme, serein, sobre mais déterminé, il bouffe (comme toujours de toute façon) littéralement l’écran. Il joue, même de dos. Il est phénoménal et largement aussi charismatique, fascinant et autoritaire que son modèle.

    Steven Soderbergh, Benicio del Toro et Le Che n’oublient pas non plus d’être de parfaits séducteurs quand lors d’une interview UNE journaliste demande au Commandante ce qui mène la révolution, il lui répond :

    « - l’amour !

    - L’amour ? s’étonne la journaliste.

    - Oui, l’amour de l’humanité, l’amour de la vie, l’amour de la justice ».

    El amor de la humanidad, el amor de la vida, el amor de la justicia...

    Si ce n’est pas un rêve ça ???

    Vivement le 28.

    Che - 1ère partie : L'Argentin - Benicio Del Toro

  • Les plages d’Agnès d’Agnès Varda ****

    Les Plages d'Agnès - Agnès VardaLes Plages d'Agnès - Agnès Varda

    Ces plages sont celles qui sont à l’intérieur d’Agnès Varda. Et ça commence sur une plage du Nord, de celles balayées par les vents qui changent de couleurs toutes les demi-heures. Sublimes forcément. De sa voix au délicieux accent belge, Agnès Varda nous annonce que « si on ouvrait des gens, on trouverait des paysages ; si on m’ouvrait moi, on trouverait des plages ». Et c’est en parcourant les plages qu’elle a foulées, pieds nus souvent, qu’elle nous raconte sa vie. Ce film est l’histoire d’une petite vieille rondelette et bavarde comme elle le dit d’elle-même. Agnès Varda a 80 ans et elle ressemble à un petit lutin facétieux, doux, cordial et chaleureux. Ce voyage qu’elle commente de bout en bout, cette espèce d’auto-portrait, ni film ni documentaire mais les deux à la fois, n’est jamais nombriliste car ce qui intéresse Agnès Varda, ce sont les autres et elle le prouve.

    Comment vous dire pour que vous y couriez en masse ? Qu’il n’est pas nécessaire d’avoir vu tous ses films, ni même d’en avoir vu un seul car Agnès explique, commente et l’on plonge avec elle dans ses souvenirs (« je me souviens tant que je suis en vie »), au plus profond de l’intimité sans jamais se sentir de trop. C’est un partage, un cadeau drôle, bouillonnant, généreux, émouvant et surtout intensément passionnant. Ces deux heures passent à une vitesse phénoménale et l’on parcourt évidemment plus de 50 ans de cinéma en compagnie de cette marginale inclassable qui réalise ici un film hors du commun comme jamais je n’en ai vu.

    Dès la scène d’ouverture où elle installe sur la plage des miroirs dans lequel se reflètent d’autres miroirs à l’infini, il faut le voir pour le croire, c’est unique et dans ces premiers plans mystérieux et enchanteurs semblent résider toute la magie du cinéma. Jusqu’à la fin, elle surprendra par des plans, des idées qui révèlent une imagination débridée, libre, d’une intelligence et d’une maîtrise folles. Maîtrise de son art qu’elle adapte aux aléas d’une caméra qui continue de tourner ou de la météo. Tout ici est d’une profondeur et d’une humilité remarquables comme cette petite bonne femme engagée qui fit partie des « 340 salopes », féministe, humaniste, passionnée qui porte toujours un regard aiguisé sur le monde qui l’entoure.

    Elle nous présente sa famille, ses enfants, ses petits-enfants qu’elle craint de ne pas connaître mais vers qui elle va, toujours. Et surtout, elle parle de son amour de et pour toujours « le plus chéri des morts », Jacques Demy qu’elle a accompagné jusqu’au bout mais qui l’a laissée seule, désemparée, inconsolable. Quand elle parle de « lui », elle est bouleversante.

    En sortant de la salle j’ai vraiment eu l’impression d’avoir vu un grand film et surtout d’avoir rencontré une personne extraordinaire. C’est rare.

  • Two lovers de James Gray ****

    Two Lovers - Joaquin PhoenixTwo Lovers - Joaquin PhoenixTwo Lovers - Joaquin Phoenix et Vinessa ShawTwo Lovers - Gwyneth Paltrow et Joaquin Phoenix

    Leonard se jette dans le canal glacé un triste jour de novembre. Il se laisse couler puis, lorsqu’il touche le fond donne un vigoureux coup de pied et remonte affolé et frigorifié. De sa démarche lourde, affublé de son inommable parka qui ne le quittera pas... il rentre chez lui penaud comme un enfant qui aurait fait une connerie. Une de plus, car Leonard est un récidiviste de la tentative de suicide. Plus tard on apercevra ses avant-bras couturés et on saura qu’il a fait un séjour en hôpital psychiatrique.

    Ainsi va la vie de Leonard, un jour il coule, un jour il flotte ; un jour il veut mourir, un jour il veut vivre ! Mais pourquoi ce grand garçon plus que trentenaire vit-il encore chez ses parents affectueux et protecteurs ? Parce qu’il sort d’une déception amoureuse qui l’a brisé. Sa fiancée a rompu ou a été forcée de rompre pour cause de groupe sanguin incompatible, elle aussi sans doute influencée par des parents envahissants.

    Et oui, si le film s’appelle bien « Two lovers », on est à des années lumière de la classique comédie romantique américaine et il aurait tout aussi bien pu porter un autre titre : « L’homme qui pleure » ou « L’homme sans âge ». Cet homme c’est Joaquin Phoenix acteur majuscule, désormais alter ego (et c'est tant mieux) du grand James Gray.

    Par où commencer quand chaque scène d’un film est un coup au cœur ou un petit miracle esthétique ? Leonard est photographe à ses heures ce qui justifie sans doute que tout le film très hivernal soit plongé dans une lumière mélancolique et littéralement illuminé de plans d’une beauté renversante. Quand la beauté d’un film se voit trop c’est que peut-être elle est trop ostentatoire. Ce n’est pas le cas ici où tout s’harmonise parfois douloureusement autour de ce cœur parfois en hiver.

    Mais revenons-en à l’histoire de Leonard. Pour l’aider à reprendre goût à la vie, ses parents lui présentent la jolie, douce, rassurante et parfaite Sandra qui rêve d’un monde idéal (son film culte est « La mélodie du bonheur »). Elle va l’aimer dès la première rencontre. Pratiquement le même jour Leonard croise sa voisine, Michelle qui vient de s’installer dans l’immeuble. Patatra ! Il n’en faut pas plus pour tout remettre en question et que le cœur de Leonard devenu solitaire se remette à battre à tort et à travers, hésitant entre deux filles toutes deux attirantes mais opposées.

    Michelle est magnifique, gaie, drôle, dynamique et Leonard en tombe instantanément amoureux. Mais Michelle est aussi paumée et instable que lui. Elle a une liaison avec un homme marié qui promet sans tenir et avec qui elle ne parvient pas à rompre. Leonard accepte d’être son meilleur ami. Il sera toujours là pour elle, dès qu’elle le « sonnera » quitte à souffrir en silence. Pour une fois, le téléphone portable a un rôle essentiel qui devient un véritable moteur de l’histoire et non pas un prétexte pour la faire avancer. La surexcitation avec laquelle Michelle et Leonard échangent leurs numéros est à la fois délicieuse et ridicule, absolument touchante. On dirait deux pré-ados :

    -  « tape ton numéro sur mon portable, on s’enverra des SMS !

    -   oh oui et moi je mettrai une sonnerie rien que pour toi ! ».

    C’est grâce à cette sonnerie qui retentira aux moments les plus inopportuns qu’on saura à quel point Leonard n’est jamais vraiment « là » où il devrait être. Sa relation avec Sandra devient peu à peu officielle. Elle est aveuglée par l’amour qu’elle porte à Leonard, qui lui, ment, se cache pour continuer à voir Michelle tantôt euphorique, tantôt désespérée. Il la retrouve parfois sur le toit de l’immeuble où beaucoup de décisions vont se prendre. Mais les scènes magiques où ils se parlent de la fenêtre de leur chambre respective qui donne dans la cour sont d’un romantisme, d’une beauté inouïs, presqu'enfantines aussi et forcément très évocatrices de la distance qui les sépare. A la fois si proches et si lointains ! Elles ne sont évidemment pas sans évoquer deux chefs-d’œuvre « Fenêtre sur cour » et « West Side Story »…

    Bien sûr, James Gray conclut son film mais face aux hésitations multiples, aux innombrables tâtonnements de Leonard, j’y ai plutôt vu moi, une histoire sans fin d’une infinie mélancolie sans réel pessimisme mais avec la certitude que tout n’est pas si simple dès lors que le cœur et la raison entrent en action.

    On peut dans ce film retrouver avec bonheur Isabella Rossellini, formidable en mère juive sur-protectrice avec son visage de madone qui ne craint pas de montrer l’âge qu’il a et son nom qui résument à eux seuls une partie de l’histoire du cinéma. On apprécie Vinessa Shaw, à la fois douce, discrète, patiente et infaillible face à l’homme qu’elle aime. On découvre (enfin !) Gwyneth Paltrow dans ce rôle où elle est un véritable soleil qui porte parfois la douleur et la détresse avec une belle intensité.

    Mais évidemment, l’astre de ce beau « film malade » (expression qui semble prendre tout son sens ici) c’est Joaquin Phoenix capable dans la même scène d’avoir l’air de l’enfant le plus fragile de la terre puis d’un homme qui aurait vécu mille vies portant sur ses épaules toute la tristesse du monde. Il est magnifique. On comprend parfaitement que dès qu’il l’a vu la première fois à l’écran James Gray ait eu envie de filmer son visage qui est un spectacle à lui seul, attirant, fascinant. Son sourire est séduisant, ses larmes sont déchirantes… et lorsqu’il devient le roi du dance-floor dans une breakdance étonnante, il est irrésistible !

    Et comme dit Mademoiselle In The Mood : "un Oscar sinon rien" !

    Two Lovers - Joaquin Phoenix

  • The visitor de Thomas Mac Carthy ****

    The Visitor - Richard JenkinsThe Visitor - Richard Jenkins et Haaz Sleiman

    Walter, veuf inconsolable vit seul dans sa grande maison du Connecticut. Il continue de donner sans passion des cours d’économie à l’Université en attendant la retraite prochaine. Il boit des verres de vin en déambulant chez lui et prend sans talent des cours de piano qui évoquent la chère disparue, pianiste virtuose. Lorsqu’il se rend à New-york, l’appartement qu’il possède est occupé par un jeune couple de clandestins : Tarek syrien et Zainab sénégalaise. De bonne foi car victimes d’une arnaque les deux jeunes gens décident de quitter l’appartement et après une courte hésitation, Walter leur propose de continuer à les héberger.

    Tarek est un musicien talentueux et touché par la gentillesse de Walter, commence à lui donner des cours de djembé. Et voilà que l’amitié s’invite au moment où on l’attend le moins. Les deux hommes, de plus en plus liés entre autre par leur passion commune deviennent proches et intimes, jusqu’au jour ou Tarek est arrêté lors d’un contrôle d’identité et placé en centre de détention pour immigrés clandestins…

    Plusieurs chapitres composent ce merveilleux film et une nouvelle fois les superlatifs vont me manquer pour l’évoquer tant il s’imprime en soi bien après que la séance soit finie. Dans la première partie, on suit pas à pas Walter (admirable Richard Jenkins) plus solitaire qu’un ermite, qui semble à la fois épuisé, revenu de tout et contraint de faire sans aucun goût tout ce qu’il a à faire. La démarche lourde et le regard fuyant, sa détresse est quasiment palpable.

    Sa rencontre avec Tarek, jeune homme lumineux et enthousiaste (Haaz Sleiman, irrésistible) va peu à peu lui redonner goût à la vie jusqu’à lui donner un sens. Lorsque Tarek va se retrouver incarcéré, l’attachement des deux hommes va encore évoluer. Il devient inconcevable pour Walter d’abandonner Tarek qui va tout mettre en œuvre pour tenter de lui venir en aide. Voir cet homme bon, généreux se redresser peu à peu, découvrir une réalité qui lui était inconnue, se heurter à l’intransigeance des autorités est absolument bouleversant. Il ira jusqu’à laisser exploser sa colère et sa révolte dans une scène sublime où il ne pourra que déplorer son impuissance. Mais son indignation furieuse aura peu d’effet face au problème social et humain qui se joue. Au même titre il est déchirant de voir progressivement l’enthousiaste Tarek sombrer dans la dépression. Walter le rencontrera plusieurs fois au parloir de la prison et ces moments où Tarek révèle ses conditions de détention (aucune intimité, lumière allumée 24 heures sur 24…) sont d’une grande intensité dramatique quoique très sobres. L’humanisme de l’un, l’incompréhension de l’autre sont confrontés à ce monstre incontournable : l’injustice !

    A aucun moment Thomas Mac Carthy ne cède à l’angélisme même si on crève d’envie d’aimer et de protéger ses personnages. On ne lui reprochera pas non plus ce qui aurait pu paraître comme une facilité en ébauchant une idylle bienvenue entre Walter et la mère de Tarek (la toujours juste et éclatante Hiam Abbass) car là encore il ne capitule pas devant un mièvre happy end. Ce film grave, profond, joyeux et douloureux ne juge pas, il pointe une réalité derrière laquelle se cachent des drames humains insoutenables. Il est porté par un acteur exceptionnel et charismatique et un personnage altruiste admirable qu’on aimerait rencontrer un jour ou mieux encore à qui l’on rêve de ressembler. Les toutes dernières images magnifiques évoquent tout à la fois ce que le film entier exprime, la rage, la colère, l'impuissance, la solitude...

    Ne ratez sous aucun prétexte ce film brillant, poignant, jamais spectaculaire mais bouleversant.

  • Le silence de Lorna de Jean-Pierre et Luc Dardenne ****

    Le Silence de Lorna - Jérémie Renier et Arta DobroshiLe Silence de Lorna - Arta Dobroshi

    Lorna, jeune femme albanaise, a obtenu la nationalité belge grâce à un mariage blanc avec Claudy, camé profond qui alterne désyntox et rechutes. Pour plus de réalisme les deux jeunes gens partagent le même appartement. Lorna travaille dans une blanchisserie mais a aussi un rêve secret : ouvrir un snack avec son véritable amoureux, Sokol. Pour obtenir l’argent nécessaire, elle accepte que Fabio, un petit truand lui organise un nouveau mariage blanc avec un russe prêt à dépenser beaucoup d’argent pour obtenir lui aussi la nationalité belge. Pour cela il faut se débarasser de Claudy…

    J’expédie tout de suite la toute petite déception finale à cause de cette fin très (trop ?) ouverte qui laisse la porte (l’imagination) ouverte à beaucoup de suppositions. Laisser Lorna là on la laisse dans l’état où on la laisse, m’a un peu perturbée…

    Sinon, comme toujours, un film des frères Dardenne est plus que hautement fréquentable voire franchement incontournable ; même si hélas, les critiques en ont déjà trop dit sur ce film (il faudrait leur faire comprendre que lorsque dans le titre d’un film il y a le mot « silence » on essaie de se taire, un minimum…) et le choc qui intervient au bout d’une heure ne sera peut-être plus une surprise pour certains. Dommage car elle est de taille

    Ce film pourrait s’intituler « Le(s) choix de Lorna » tant cette fille est confrontée à des dilemmes, des alternatives voire de véritables cas de conscience. La détermination de Lorna est portée par une actrice, Arta Dobroshi, véritable joyau, qui impose d’emblée sa présence, sa force et sa volonté. Au cœur de ce monde d’hommes perdus, impitoyables, intéressés, parfois les trois à la fois, elle est seule. Qu’elle doute ou qu’elle décide, elle est seule. Sa volonté, sa solitude et sa maturité sont impressionnantes. Comme « Rosetta » en son temps, Lorna avance, volontaire et obstinée. Contre toute attente, c’est Claudy, squelettique, émacié, livide (Jérémy Rénier, magnifique, remarquable, bouleversant (il m’a fait pleurer)) qui sera, involontairement, inconsciemment celui qui va faire s’enrayer la belle machine qui semblait programmée et sans faille. L’attitude de Lorna vis-à-vis de Claudy va évoluer. L’indifférence agacée va faire place à la pitié charitable et évoluer en amour complètement inattendu rendant les choses beaucoup plus compliquées, confuses et inextricables.

    Même si la réalité brutale des situations (obtenir des papiers contre des trafics d’argent) est toujours la constante d’un film « dardennien », ici l’absence de misérabilisme (Lorna a un logement, du travail) est vraiment le bienvenu.

    On comprend que ce film ait obtenu le Prix du Scénario au dernier Festival de Cannes (même si la fin m’a déroutée…) mais ce qui est aussi la marque de fabrique indéniable des frères Dardenne c’est leur éblouissante direction d’acteurs ainsi que leur aptitude à s’entourer d’un casting irréprochable. Jérémie Rénier magnifiquement désespéré, avec ses appels au secours déchirants, sa fragile obstination à tenter de s’en sortir et Arta Dobroshi, belle, mystérieuse, audacieuse, sont inoubliables.

  • Un millier d’années de bonnes prières de Wayne Wang ****

    Un millier d'années de bonnes prières - Henry OUn millier d'années de bonnes prières - Henry O

    Yilan vit aux Etats-Unis depuis 11 ans. Elle vient de divorcer et son père qui vit toujours à Pékin lui rend visite pour tenter de la comprendre et de l’aider.

    Avoir des nouvelles de Wayne Wang de cette façon est un pur bonheur même si (ou peut-être, bien que) son film soit un véritable crève cœur et provoque des palpitations vertigineuses. Le mur qui sépare le père et la fille est infranchissable. Le père a vite fait de se rendre compte qu’Ylan devenue occidentale n’a besoin de personne, et surtout pas de lui, pour se consoler de ce divorce. Et pourtant, il lui parle, lui parle sans cesse alors qu’elle l’a connu si silencieux, cherchant constamment son regard qu'elle détourne inévitablement. Il lui prépare des petits plats en abondance pour qu’elle reprenne des forces, qu’elle ne semble pas avoir perdues. On a du mal à comprendre comment cette fille a l’impudence d’être si froide, imperturbable et insensible à toutes les attentions et à l’intérêt que son père lui prodigue avec patience et douceur. Et alors que cet homme si sociable, est abordé dans les trains, les avions, dans la rue par tout le monde prêt à écouter les histoires de sa vie qu’il raconte inlassablement : l’amour pour sa femme, pour sa fille, son métier passionnant « constructeur de fusées »… il est rejeté par sa fille qu’il agace au-delà de tout. Elle en vient même à s’inventer des réunions et des sorties factices pour éviter le tête à tête du repas du soir. Plus il s’inquiète pour elle, plus il l’entoure et souhaite la rassurer en lui parlant de son enfance à elle, plus elle s’éloigne. Lorsqu’elle a la chance qu’il lui révèle pourquoi elle porte le prénom qu’elle porte (magnifique histoire), là encore, elle tranche cinglante « je la connais déjà cette histoire ». Qu’a-t-il bien pu lui faire pour qu’elle ne pardonne rien ? On le saura ; ça pourrait être décevant… ça l’est d’ailleurs, un court instant mais le réalisateur balaie cette légère contrariété en prouvant qu’au-delà de ce qui sépare cette fille et ce père, l’éloignement, leurs cultures, leurs façons de vivre, leurs langages (Ylan dira qu’  « en chinois, il est impossible d’exprimer des émotions »), les générations, il y a surtout les non-dits, les malentendus et la malveillance de certains. On ne peut pas parler alors de réconciliation, mais d’une sorte d’apaisement qui soulage mais ne console pas. Car contrairement au proverbe qui assure qu’il n’est jamais trop tard. Si, un jour il est trop tard, et pour toujours. Alors il faudrait que les filles et leurs pères se parlent, car le père sait des choses que les mères ne savent pas. C’est aussi ce que nous dit ce beau film, simple, pur, douloureux, d’une profondeur rare et inouïe. Un film fait pour les filles qui ont un père, forcément, et les pères qui ont une fille. Pour qu’ils cessent enfin de croire que la mère est la confidente idéale alors qu’elle ne fait souvent que l’éloigner de cette relation, la plus étrange et improbable qui soit…

    C’est aussi un film sur la difficulté et bizarrement la facilité de communiquer. Comme s’il était plus simple de se livrer à un parfait inconnu. A cet égard les rencontres dans un parc avec une vieille femme iranienne, elle aussi exilée mais qui affirme « j’adore l’Amérique », sont des moments d’une douceur et d’une force incroyables. Deux mondes à nouveau se heurtent et s’expliquent tranquillement et se comprennent.

    Ce film est un peu le prolongement ou le négatif du « Premier jour du reste de ma vie », un film sur les traditions, la famille/je vous « haime », en plus intimiste, moins démonstratif, mais tout aussi essentiel, providentiel. Un film émouvant, délicat, humain, intense, déchirant, à fleur de peau… qui parle ou devrait parler ou parlera peut-être au plus profond du cœur de l’enfant que l’on est encore et du vieillard que l’on deviendra peut-être…