Lors de mon périple parisien du mois de juin, j'ai été invitée par Florian de CinéFriends (merci encore mille fois) à assister à la projection presse de ce film (qui sortira le 7 septembre prochain) au Cinéma du Panthéon dans le Vème et au repas qui suivait en compagnie du réalisateur Vincent Garenq, de Philippe Torreton, d' Alain Marécaux, de quelques journalistes dont je tairai les noms par respect pour leurs familles et d'un autre blogueur Alexandre Mathis plan C. pour les intimes. Evidemment, j'ai accepté. Et l'exercice s'est avéré aussi passionnant que déroutant. J'y reviendrai.
Le film évoque l'histoire d'Alain Marécaux, cet huissier de justice qui fut arrêté en 2001 ainsi que sa femme pour des crimes de pédophilie qu'ils n'ont pas commis. Ils furent incarcérés et enfin libérés, la principale accusatrice s'étant en plein procès rétractée avouant être malade et avoir menti. Personne n'a oublié la fameuse affaire d'Outreau qui suscita un engouement médiatique hors du commun donnant à chacun l'occasion de condamner sans jugement, les faits reprochés étant d'une atrocité également peu commune. Plusieurs années de calvaire pour un homme, sa famille mais aussi une vingtaine d'autres accusés totalement innocents et choisis presque au hasard par les accusateurs (et véritables coupables des faits). Le réalisateur se penche ici exclusivement sur le cauchemar vécu par Alain Marécaux en adaptant son livre "Chronique de mon erreur judiciaire". Le film aborde également l'acharnement quasi obsessionnel du "petit" juge Burgaud qui sera à l'origine de cette erreur monstrueuse.
La première scène est un coup de poing. Il fait à peine jour lorsque la police vient arrêter Alain Marécaux et sa femme. Dès qu'ils pénètrent dans la maison, sans violence mais avec une brusquerie choquante, on reste pétrifié. Choqué aussi par le tutoiement immédiatement utilisé envers les inculpés qui sont instantanément placés en situation de coupables. La scène est quasi documentaire et l'on se dit qu'ainsi un jour, pourquoi pas, on pourrait être à la place de ce couple à qui on annonce qu'ils sont arrêtés pour crime de pédophilie. Leurs trois enfants sont réveillés et quasiment arrachés des bras de leurs parents. Ils ne les reverront plus pendant plusieurs années. L'angoisse qui saisit le spectateur est indescriptible. Impossible de ne pas s'identifier et c'est la première réussite de Vincent Garenq qui ne cherche pourtant pas à choquer gratuitement. Au fond, aucune violence physique, aucun passage à tabac ne seront utilisés contre Alain Marécaux, mais toute une succession de petites humiliations et des confrontations absolument absurdes avec l'accusatrice Myriam Badaoui et un juge qui n'écoute pas ou plutôt n'entend rien. La violence de ce qui arrive à cet homme n'en est pas moins incroyable et scandaleuse. On assiste totalement médusé à une enquête et à un procès quasi exclusivement à charge. Toutes les pistes permettant de discréditer les accusations sont tout bonnement écartées.
Lors de son arrivée en prison, Alain Marécaux reçoit un seul conseil : "ne surtout pas faire savoir de quoi il est accusé" car on sait quel sort est réservé aux violeurs d'enfants dans les prisons alors qu'on sait que chaque cellule est équipée d'une télé. Les conditions de détention (9 dans une cellule prévue pour 4) font froid dans le dos. On se croirait dans la pire geôle du bout du monde. Malgré cela, il est à noter que la représentation du personnel de prison n'a rien à voir avec ce que la plupart des films tentent de nous imposer comme vision. Les gardiens ne sont pas des "matons" sadiques mais plutôt de braves types qui essaient de bien faire leur boulot.
Tentatives de suicide, grève de la faim... Alain Marécaux tentera tout pour hurler son désespoir et se faire entendre. En vain !
Malgré le caractère hautement documentaire du sujet et la manière de le traiter, Vincent Garenq n'en oublie pas pour autant de faire un film et cela bien que l'on connaisse le denouement (relativement) heureux pour le personnage principal. Tout est traité en tension constante, sans musique qui viendrait alourdir le propos ou le rendre encore plus dramatique. Cette descente aux enfers d'un homme qui perd tout, sa famille, son travail, ses biens est saisissante de bout en bout. On reste pétrifié jusqu'à la dernière seconde du générique et même au-delà car pendant toute la projection on a été placé en empathie permanente avec le personnage. Non, ça n'arrive pas qu'aux autres, la machine judiciaire peut broyer des vies sans qu'on puisse rien faire contre. C'est terrifiant.
L'implication de Phillipe Torreton dans ce rôle est admirable, impressionnante et brillante. Il y est juste, sobre et bouleversant comme jamais. Sa transformation physique est hallucinante et son jeu souvent même minimaliste. Il faut dire qu'Alain Marécaux, lui-même officier ministériel de profession se fait une haute idée de la justice française, lui accordant une entière confiance, ce qui l'empêchait sans doute de hurler les évidences de l'injustice dont il était l'objet. On accompagne le personnage sur son chemin de croix en se demandant néanmoins si le métier d'acteur justifie de mettre en danger sa propre santé pour s'approcher au plus près d'une interprétation !
Ce film terrible, éprouvant est utile.
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La seconde partie de cette matinée était donc consacrée au repas partagé entre une dizaine de privilégiés (dont moi-même en personne) et l'acteur Philippe Torreton, le réalisateur Vincent Garenq et Alain Marécaux. Ainsi que vous pouvez le constater sur ce plan en coupe, juste au dessus du cinéma se trouve le restaurant "Le salon"
Cet endroit absolument charmant, entièrement décoré par Catherine Deneuve est un loft de 150m2, prolongé d’une terrasse chauffée et ouvert au public du lundi au vendredi.
L'"exercice" m'a été présenté comme une conversation entre les journalistes (et les deux blogueurs donc) chargés de poser des questions. Chaque invité doit "tourner" à chaque changement de plat (entrée, plat, dessert), ce qui nous laisse en compagnie de chacun d'eux enrivon une demi-heure ! C'est tout à fait passionnant mais aussi assez déroutant. D'autant que sachant ce que conversation signifie (enfin, je le croyais jusque là), lorsque je suis intervenue dans la "conversation", une journaleuiste d'un canard normand s'est mise à agiter les bras avec force moulinets puis a posé un doigt sur sa bouche (comme on le fait pour un moutard qu'on veut faire taire) ! Notre "échange" n'a manifestement été visible que de nous deux mais lorsqu'à la toute fin de l'entrevue elle est venue me faire des excuses donner les explications de ses gestes, je lui ai tourné le dos la coupant en plein milieu de sa dissertation et lui signifiant que discuter avec des personnes comme elles ne m'intéresse absolument pas. Il faut dire que (LOL et MDR), c'est la même (faites ce que je dis pas ce que je fais) qui lors de notre "conversation" avec Philippe Torreton (lui-même normand) s'est mise à lui poser des questions du style :
- "et alors, votre famille est toujours en Normandie ?
- En effet, ma tante vit à Grand Quevilly, répond le très courtois Philippe.
- Oh mais c'est dingue, figurez-vous que je suis native d'Elbeuf Seine Maritime Haute Normandie !!! La vie est dingue non ? si j'm'attendais ? ajoute la décolorée blonde (ce qui est évidemment vital pour le film en question, j'en conviens avec le recul !)
- oui, le monde est vraiment petit "! confirme le très urbain Philou.
Puisque j'en suis au chapitre "comment se faire des ami(e)s ma spécialité en une heure 30 ?"... je continue. Une autre journaleuiste que je nommerai "l'intello de service", sans doute la plus pro et la plus cinéphile nonobstant, mais également la plus énigmatique en ce qui me concerne posait des questions interminables, plus longues que les réponses que les intéressés auraient pu donner. Moi je n'en ai compris aucune, les mots en "isme", en "logue", des machins formels et informels du point de vue de là où l'on se place et l'aspect technique de la notice de la caméra, c'est pas ma tasse. La demoiselle blonde naturelle, si. Vincent Garenq étant un garçon intelligent et très bavard répondait à toutes les questions. Alors que Philippe Torreton faisait souvent : "Gnéééééé ? a pas compris !". Mais la demoiselle ne lâchait pas le morceau tant qu'elle n'avait pas obtenu la réponse qu'elle souhaitait entendre. Fascinant. Elle était quand même tordante lorsqu'elle a fait auprès de Philippe Torreton un rapprochement insistant entre ce film et le cinéma d'Olivier Marchal (lorsque vous aurez vu le film, vous penserez comme moi : "c'est quoi le rapport ?"... même si évidemment, il y a des képis de part et d'autre). Le très poli Philippe disait très poliment qu'effectivement il y avait des scènes de commissariat, de tribunal et même des menottes mais que bon... Le plus tordant de l'affaire c'est lorsqu'un peu plus tard, le même se risque à une comparaison avec "L627" de Bertrand Tavernier. Et la miss de s'offusquer : "mais enfin Msieur Torreton, ce n'est pas le même réalisateur ni le même film !!!". J'en ai conclu que Vincent Garenq et Olivier Marchal n'étaient pour elle qu'un seul et même homme, pour ne pas dire réalisateur.
Le troisième larron n'est pas critique de cinéma et a été parachuté là, un peu comme un blogueur sans légitimité (ooopsss, pardon pour le pléonasme). Il fut l'auteur de plusieurs exploits. D'abord, il a trouvé que Philippe Torreton jouait mal et en faisait trop... Là, encore, c'est chacun pour soi. Moi j'ai trouvé qu'au contraire avec un rôle aussi spectaculaire, il aurait pu céder à l'excès ce qu'il ne fait jamais selon moi. Mais son grand moment qui m'a mise vraiment mal à l'aise c'est lorsqu'il a demandé à Alain Marécaux combien il avait touché en dédommagement de cette erreur judiciaire !!! Mais il a atteint son Anapurna en disant hilare : "avec l'affaire DSK, vous ne vous sentez pas replonger dans tout ça ?".
La quatrième scrivaillonne était timide je suppose et n'a pas ouvert la bouche. Je ne peux donc rien dire à son sujet, veuillez m'en excuser.
La partie médisance LDP étant torchée, passons aux choses sérieuses.
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L'entrée nous l'avons mangée avec Vincent Garenq. Je ne me souviens plus ce que c'était. Si cela vous intéresse, demandez à Alexandre Mathis qui n'en a pas laissé une miette et finissait les verres aussi. Et comme Vincent Garenq est un garçon excessivement bavard (mais très intéressant), il a quitté notre table une demi heure plus tard, en emportant son entrée à la table du plat de résistance !
VIncent Garenq a été bouleversé par l'histoire d'Alain Marécaux qu'il a découvert en lisant son livre. Le film est donc un reflet de la subjectivité d'Alain Marécaux. Il a choisi cette histoire plutôt qu'une autre (puisqu'il y a une vingtaine d'inculpés) parce que tout semblait y aller plus loin. Le fait d'avoir des enfants lui aussi, l'a sans doute davantage sensibilisé puisque les enfants de Marécaux ont été immédiatement retirés à leurs deux parents arrêtés. L'écriture du scénario lui a procuré un énorme coup de blues dont il a eu des difficultés à sortir.
Bien que l'instruction soit un tissu de contradictions, Vincent Garenq n'a pas souhaité faire un film contre le Juge Burgaud, contre la justice et même contre les médias. Il a pour lui une valeur de témoignage et de constat pour que ce genre d'horreur n'arrive plus.
Il reconnaît avoir filmé caméra à l'épaule pour ne pas s'éloigner de Philippe Torreton et montrer dans quel état de stress et de tension il était en permanence. Son choix s'était finalement porté sur cet acteur parce qu'il est le seul à avoir montré un véritable intérêt pour le rôle. Il ne cache pas non plus sa référence à Depardon !
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C'est en compagnie du très très charmant Philippe Torreton que nous avons partagé le plat de résistance. Lui, il parvient à parler ET à manger en même temps, mais toujours très proprement. Il est charmant. Ah, oui je l'ai déjà dit. Très souriant et très élégant. Et toujours très passionné par son métier.
Ce qui saute aux yeux en voyant ce film c'est évidemment la transformation physique : perte de poids considérable (plus de 20 kilos), crâne rasé. Pour l'acteur, la transformation est consitutive du personnage. Il n'envisageait pas sa performance différemment pour rendre compte du personnage.
Le fait qu'Alain Marécaux soit complètement écrasé par son malheur l'a impressionné. Pour lui il n'avait aucune revendication, il souhaitait juste mourir. Pour rendre compte de ce malheur et exprimer la compassion, le cinéma est idéal qui peut placer une caméra où d'habitude il n'y en a jamais. Pour lui, ce film qui se concentre sur l'histoire singulière d'un homme est comme un cri qu'on peut pousser pour faire entendre Alain Marécaux.
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Le dessert nous a donc permis de rencontrer Alain Marécaux le vrai. Et c'était évidemment la partie la plus forte et bouleversante de cet échange. C'est un homme calme, posé et d'une grande douceur. Il semble tellement avoir réappris à vivre qu'il peut parler de cette histoire sans trembler. Pas froidement du tout, au contraire, ça fait mal de l'écouter, mais tranquillement sans manifester de haine.
Tous ses malheurs ont été concentrés sur quatre années et le film ne trahit rien, ne déforme rien de ce qui s'est effectivement passé. Lors de l'arrestation de sa femme et de lui-même, il estime que ses enfants aussi ont été arrêtés. Il est vrai que la façon dont ils sont sortis du lit par les policiers puis de la maison glace le sang. Son fils aîné, le plus "difficile" des deux a tellement donné de fil à retordre aux différentes familles d'accueil qu'il est finalement devenu "pupille de la nation" et a été déscolarisé à l'âge de 14 ans. Il faut savoir (je l'ai appris ce jour là) qu'une des aberrations de notre système est que l'école est obligatoire jusqu'à 16 ans, sauf pour les pupilles de la nation !!! Il voit toujours ses deux fils, mais sa fille qui a aujourd'hui 16 ans ne veut plus le voir. Elle a pris le parti de sa mère et n'a jamais compris ce qui lui était arrivé. Ce que ses enfants ont vécu est insoutenable.
Alain Marécaux nous raconte sa perte de poids (48 kilos) et son désir de mourir. Aujourd'hui, il se reconstruit avec une nouvelle famille mais ne passe pas une journée sans penser à tout ce passé qui le hante. Tout lui a été arraché : sa femme et ses 3 enfants. Il a également perdu son travail et forcément son étude d'Huissier. Il travaillait 11 heures par jour et parfois même le week end pour faire bien vivre les siens. S'il a l'impression de vivre une résurrection professionnelle, il a pris conscience de la place exacte du travail dans une vie.
Quant à voir sa vie retracée au cinéma, il a d'abord craint que son livre soit dénaturé mais après avoir rencontré Vincent Garenq, il a donné son accord car il était consultant sur le scénario et que 12 versions ont été rédigées avant de trouver la bonne. Ce fut une rare violence de voir le film la première fois, mais il ne se sent pas trahi et l'essentiel de sa souffrance s'y trouve.
Il considère qu'en 2001 il a été "embastillé" et que son cauchemar peut hélas se renouveler et arriver à n'importe qui. La position sociale, il en est la preuve, n'est pas un rempart. Il affirme, et on le croit sans peine tant cet homme paraît illuminé de l'intérieur par une espèce de bonté non feinte, qu'il n'en a jamais voulu au petit garçon qui l'a accusé, pas plus qu'à Myriam Badaoui. Par contre, il est toujours en colère contre le Juge Burgaud qui a simplement été admonesté.
La dernière chose qu'il attend aujourd'hui, ce sont les excuses du Juge, qu'il n'a jamais prononcées.
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NB : je tiens à préciser que dans cette affaire il y a aussi de vraies petites victimes d'incestes, de viols et de véritables actes de barbarie... mais que ce n'est absolument pas le sujet du film.