VENUS NOIRE d'Abdellatif Kechiche °
Plus personne aujourd'hui n'ignore l'histoire de Saartjie Baartman dont la vie fut un roman d'une cruauté sans nom que personne n'aurait osé écrire. Née en Afrique du Sud à la fin du 18ème siècle, elle perd ses parents puis son unique enfant. Elle fut amenée en Europe par un "afrikaaner" chez qui elle avait été esclave ou servante... En raison d'une morphologie inhabituelle (hypertrophie des hanches, des fesses et des organes génitaux), son "maître" fit d'elle un phénomène de foires qui réjouira d'abord les londoniens lors de spectacles avilissants où la jeune femme enchaînée dans une cage doit simuler une bête sauvage ! Elle sera vendue plus tard à un montreur d'ours qui l'emmènera en France et l'exploitera encore davantage en la livrant à la prostitution où elle servira d'objet sexuel aux fantasmes des parisiens dans des bordels ou lors de soirées privées. La science s'intéressera également à son corps hors normes. Elle sera observée sous toutes les coutures, mesurée, comparée. Au-delà de sa mort même Saartjie sera disséquée, son cerveau et ses organes génitaux conservés dans du formol pour être étudiés et un moulage de son corps entier sera réalisé puis exposé. Un zoologue chirurgien dont je tairai le nom pour ne pas lui faire de promo post-mortem a donc grâce à cette femme qui n'était en fait qu'une grosse femme... pu établir de belles théories racistes en comparant son visage à celui d'un orang-outang et ses fesses à celles d'un mandrill et déclarant l'infériorité définitive de cette "race"... au "crâne déprimé et comprimé". N'en jetez plus, la cour est pleine !
Et puis pour nous conter cette sordide histoire, il y a ce film, et ce film est une horreur. Non pas que je tente de jouer les pucelles effarouchées en prétendant que l'esclavage infâme et poisseux de cette femme soit insupportable à regarder. Ce qui est insupportable c'est l'insistance deux heures et demi durant du réalisateur à nous placer ad nauseam dans le rôle obscène du voyeur qui n'a finalement rien à se reprocher. Car les scènes d'exhibition, d'humiliation, de soumission et tous les mots en ion qui évoquent l'avilissement d'un être humain par d'autres, sont multipliées, répétées, ressassées jusqu'à épuisement. Le réalisateur fait si peu confiance aux spectateurs qu'il lui rabâche jusqu'à plus soif ce que peut être l'exploitation d'un être humain faible et naïf par d'autres aveuglés par les seules ambitions mercantiles. C'est donc dans toutes les positions, à quatre pattes, à plat ventre, jambes écartées, en fumant, en buvant... que le calvaire de Saartjie, le plus souvent nue (pauvre Yamina Torres dont c'est le premier rôle !) et totalement passive, abrutie par l'alcool, nous est servi. Les indéniables talents de chanteuse et de danseuse de la demoiselle sont hélas pratiquement étouffés. Le plus surprenant est que bien que jusque là je tenais Abdellatif Kechiche pour un incroyable directeur d'acteurs, il réussisse l'exploit de ne jamais nous rendre Saartjie sympathique et émouvante ! Et puis il y a Olivier Gourmet qui fait son numéro "regardez comme je suis un grand acteur !". Mais franchement, le voir faire son cinéma avec un godemichet... ça a l'air de bien l'éclater. Moi, ça ne m'a pas convaincue...
Et au milieu de ce fatras assez écoeurant, une pépite cependant : Elina Löwensohn ! Chapeau.