Nozomi est une jolie poupée en plastique. Elle partage la vie d'un homme qui vit dans un appartement d'une triste ruelle de Tokyo. Il lui parle et en prend grand soin, lui fait prendre des bains, lui lave soigneusement les cheveux, la parfume, l'habille, et le soir lui fait l'amour en s'extasiant sur sa beauté. Chaque matin, il la laisse seule mais un jour Nozomi s'anime peu à peu, prend vie et part à la découverte de la ville mais aussi des autres. Elle va donc en conséquence expérimenter tous les malheurs et tous les bonheurs d'avoir un coeur, d'éprouver des sentiments, d'avoir des états d'âme, des émotions, des douleurs, des regrets. Tous les vertiges de l'amour, à en crever l'oreiller.
Le cinéma c'est de l'émotion disait Godard. Et ce genre de film sur le fil, inclassable, incomparable en est empli à rabord. Pour parler de l'ultramoderne solitude au coeur des grandes villes en particulier et sans doute du monde en général, Kore-Eda qui n'a pas son pareil pour nous étreindre le coeur (voir "Nobody knows" et "Still Walking") choisi un personnage improbable. Une poupée vide incarnée par une actrice stupéfiante qui prend peu à peu vie et douleurs sous nos yeux.
Au hasard de ses déambulations diurnes d'automate, Nozomi trouve un emploi dans un magasin de location de DVD. Idée lumineuse parmi tant d'autres qui explore la cinéphilie du réalisateur et nous force à reconnaître les jaquettes de films connus. Elle n'y connaît rien en cinéma mais aidée de son charmant collègue Junichi, et grâce à son cerveau tout neuf qui va absorber mille connaissances, elle en saura bientôt long sur les films sans même les avoir vus. En se coupant accidentellement l'avant bras Nozomi va se "dégonfler" sous les yeux de Junichi. Abattu par une blessure (plus intérieure), un peu absent jusque là à ce qui l'entoure, il ne se montre pas surpris de devoir lui insuffler de l'air pour la ramener à la vie. Il aura la maladresse d'avouer à Nozomi que lui aussi, comme beaucoup d'humains sur terre, est "vide", tout comme elle. Nozomi trouve tout cela bien compliqué. Leurs secrets, leurs ressemblances et leurs solitudes vont les rapprocher et les unir. L'un devenant le guide de l'autre. L'érotisme insolite qui en découle et les lie l'un à l'autre crée une étrange relation de soumission. La fille incomplète et fragile se considère comme un erzatz dont il peut disposer à sa guise, et le garçon est conscient de son pouvoir infini de lui rendre la vie par son souffle. Cela donne lieu à des scènes inhabituelles et délicates à la fois amusantes et poignantes.
Parfois drôle, parfois lumineux, souvent sombre, on suit au travers du regard enfantin tantôt émerveillé tantôt épouvanté, le parcours furtif et totalement désenchanté de Nozomi la poupée humaine. A noter ce beau moment plein de grâce et de douceur où Nozomi soulève le morceau de scotch que Junichi a collé sur son bras blessé et par où elle peut respirer le souffle de son amant...
L'art du réalisateur est léger, délicat. La route de son incroyable héroïne croise celles d'un vieillard philosophe, abandonné, sous respirateur artificiel et qui continue à fumer, d'une femme d'âge mûr qui ne parvient pas à se résoudre à vieillir, d'une petite fille sans maman qui fera subir un sort implacable à sa poupée... Tous crèvent de solitude. Le charme de ce film qui opère et se prolonge bien longtemps après la fin de la projection est terriblement envoûtant. Il nous laisse effondré devant la noirceur du destin de Nozomi d'autant plus terrible qu'il semble banal.
Un cinéma aussi triste et aussi beau me comble.