LA VIDA LOCA de Christian Poveda***
Avant de vous parler de ce film, il faut que je vous parle un peu de Christian Poveda, le réalisateur, parce que le mercredi 2 septembre 2009 il a été assassiné par balles dans la banlieue de San Salvador à 54 ans alors qu'il était en train de tourner un nouveau documentaire dans une banlieue contrôlée par les gangs. C'est lui là au-dessus Christian Poveda. Celui qui est armé d'une caméra.
Il a été photographe-grand reporter de 1979 à 1990. Il a parcouru le monde et couvert les guerres en Irak et au Liban. La Vida Loca était son premier documentaire a être diffusé en salles. Il a longtemps vécu à El Salvador. En 1980 il y met les pieds pour la première fois, en tant que photo-reporter. Il y couvre l'actualité au quotidien jusqu'au début des années 90, et en 1981 il réalise son premier documentaire, ce qui lui permet de se faire de nombreux amis et contacts dans le pays. En 1990, après avoir quitté le photojournalisme il décide de se consacrer entièrement à la réalisation de documentaires ("On ne tue pas que le temps" en 1996, "Voyage au bout de la droite" en 98).
Dans ce premier long métrage "La Vida Loca" il s'intéresse au quotidien de jeunes salvadoriens qui vivent selon les rites d'un gang ultra-violent "La Mara 18". Il a pu les filmer parce que pendant un an avec l'autorisation de la police et des chefs, il s'est "infiltré" au sein d'un des deux gangs qui répandent la terreur au San Salvador. Il n'a pas reçu de protection particulière pour autant. Mais son film, témoignage au coeur de l'horreur quotidienne est aussi percutant qu'un upercut et il est difficile d'imaginer que ce que l'on voit est vrai tant toute humanité semble avoir disparu par moments chez ces garçons très jeunes mais qui paraissent tous beaucoup plus que leur âge.
Cette guerre entre deux gangs est fratricide. Une guerre civile mais sans but et sans motivation. Il n'y a dans cette violence de chaque jour aucun mobile politique ou religieux. C'est une lutte à mort des pauvres contre les pauvres. Sans travail, sans protection sociale, sans avenir. Pour certains d'entre eux la devise est "Mata para vivir, vive para matar" (tue pour vivre, vis pour tuer). Tout est dit.
On ne comprend rien à ce qui se passe puisque la seule motivation est la haine du camp adverse et Christian Poveda a choisi d'illustrer chaque assassinat violemment mais sans image. Au terme d'une séquence un coup de feu, le noir et c'est tout. La scène suivante est une veillée funèbre. Et le récit du réalisateur est admirablement rythmé par ces enterrements où les femmes, les mères, les soeurs s'effondrent mais qui décuplent encore la haine... C'est un cercle sans fin, on ne voit pas comment ça pourrait finir.
Mais je me suis surprise après un énième coup de feu à dire "non pas elle"..., parce qu'on parvient malgré tout à s'attacher à une telle qui ne rêve de rien d'autre que de renaître avec un oeil neuf parce que le sien a été bousillé par un projectile, ou à tel autre envoyé en maison de redressement, seul endroit où il parvient à réussir une année scolaire !
Les femmes aussi sont parfois ramassées par les flics parce qu'elles vivent de divers trafics. Quant aux enfants, étrangement, lorsqu'ils sont nourrissons, ils sont particulièrement entourés, maternés, couvés... mais dès qu'ils tiennent sur leurs deux jambes, ils assistent à tout bras ballants, sans broncher, sans émotion apparente aux soirées sexe, drogue et rock'n'roll, aux descentes de police, aux assassinats dans la rue. C'est un monde à part, une vision d'un monde sauvage et sans pitié, inconcevable pour nous. Mais ce film choc et dérangeant, documentaire qui livre la réalité brute sans commentaires, est nécessaire.
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Dans le DVD qui sortira le 3 mars, vous trouverez également un livret de 28 pages de sublimes et terrifiantes photos de Christian Poveda.
Ainsi qu'une Rencontre, une interview avec Christian Poveda, une enquête d'Envoyé Spécial sur son assassinat, un documentaire sur la genèse d'une guérilla au Salvador "Revolucion o Muerte"...