La vie passera comme un rêve de Gilles Jacob
Je vous l’ai dit, lors de mon récent voyage dans les îles, je me suis embarquée avec ce livre :
Je l’ai donc lu, que dis-je, dévoré !
Pas en un seul plan séquence mais rapidement en tout cas.
Ce livre, je l’ai littéralement englouti sans en gaspiller une seule miette.
Les petites déceptions viennent du fait que j’ai parfois eu l’impression, fondée ou pas, seul Gilles Jacob pourrait répondre, qu’il réglait quelques comptes avec des artistes « difficiles », acteurs ou réalisateurs. Mais ce qui m’a le plus manqué, (choquée ?) c’est l’absence totale (son nom n’est pas même cité une fois) du merveilleux Thierry Frémeaux, le délégué général et l’un des piliers actuels du Festival de Cannes. Un mystère !
Les anecdotes de l’enfance et le parcours personnel de Gilles Jacob viennent ponctuer l’histoire du cinéma qui l'accompagne et le nourrit depuis 50 ans et celle du Festival de Cannes dont il est le Président depuis 30 ans.
Et c’est là que le livre prend toute sa saveur car avec une écriture simple mais efficace, il parvient à réanimer les images qui m’accompagnent aussi depuis de longues années déjà : celles de la mythique et célèbre montée des marches, des cérémonies d’ouverture et de clôture qui évoquent la magie d’un monde fictif, rêvé, sublimé… Mais surtout l’avant et l’après festival dont le public est absent, et puis tous les films, les grands et les moins bons qui ont défilé sur l’écran des fascinations, ont été récompensés du prix suprême, la Palme tant convoitée, ou pas, et tous les autres qu’on a découverts grâce à ce « passeport » cannois qui ouvre les portes d’un monde, d’un « paradis pas fait pour les âmes sensibles ».
Mais ce qui ravit, surprend et séduit en premier lieu et en particulier malgré les aléas de la vie, les évènements imprévus, les stars plus ou moins « gérables », c’est l’amour démesuré pour (certaines) actrices, la curiosité insatiable pour la nouveauté, la recherche exigeante de talents originaux, l’enthousiasme sans tache, en un mot la passion dévorante et toujours intacte pour le cinéma.
Et comme Gilles Jacob n’a pas son pareil pour détailler, décortiquer quelques instants d’un film qui font parfois qu’il reste gravé en vous pour toujours, voici quelques lignes ce cette biographie :
« 31
Viennoiserie
C’est un plan fixe de 1 minute 38 secondes et 41 centièmes. Dans un cimetière de Vienne, une allée bordée d’arbres, vers la fin de l’automne. Le ciel est bas, les ombres sont longues. Des feuilles mortes tournoient vers le sol. Pendant toute la scène, on entend une ritournelle aigrelette qui fera le tour du monde. A gauche de l’écran, un homme avec un sac de voyage s’est posté, appuyé sur une petite carriole qui traîne là. Le suspense est total. Que veut-il donc ? Il attend qu’arrive à lui une silhouette qui vient de l’horizon et qui, peu à peu, grandit. C’est celle d’une femme – la femme qu’il aime secrètement. Elle approche, elle a une classe folle, un sac en bandoulière, un chapeau clair à large bord orné d’un ruban sombre, des boucles brunes dans le cou, un manteau trop long comme en portaient les réfugiées à la fin des années 40, et elle avance. Minute d’éternité pour le personnage masculin. Va-t-elle lui adresser la parole, lui pardonner d’avoir laissé tuer son amant ? Non, elle presse le pas, passe devant sans lui jeter un regard, puis disparaît à jamais par la droite de l’écran. L’homme a reçu ce mépris en pleine figure. Il n’a pas bougé, pas soufflé mot. Il sort un paquet de sa poche et allume lentement la cigarette de la solitude.
C’est le dernier plan du Troisième Homme de Carol Reed (grand prix du Festival de Cannes en 1949) : il est beau, il est fatal, il ne finira jamais. Lui, c’est Joseph Cotten, elle, Alida Valli, et c’est sublime. ».
Et voici cette minute 38… Un final comme on n'en ose plus !