Still Walking de Kore-Eda Hirokazu ***
Dans la famille Yokohama, il y a le père médecin ombrageux à la retraite, la mère qui n’a jamais travaillé mais régale tout le monde de ses plats compliqués, une fille épouse d’un gros feignant et mère de deux enfants, un fils qui vient de se marier avec une jeune veuve qui a un fils.
Mais dans cette famille, il y a surtout un grand absent qui prend toute la place, le frère aîné mort une dizaine d’années plus tôt en sauvant un adolescent de la noyade. Depuis, chaque année tout le monde se réunit à la date anniversaire de cette mort pour commémorer la mémoire du cher disparu.
Autour de ce festin (il est recommandé de voir ce film le ventre plein sous peine de saliver) chacun va peu à peu, une fois de plus vraisemblablement, manifester sa peine, son chagrin inconsolable, mais aussi vont surgir les douleurs et les frustrations qui ont fait que ce frère absent est devenu l’idéal pour les parents, celui qui est paré de toutes les qualités, celui qui aurait repris le cabinet du père alors que l’autre fils n’ose même pas révéler qu’il est au chômage, celui qui n’a plus ni faille ni défaut et qui est même mort tragiquement en héros.
Au cours de ce week-end les vacheries et « vérités » vont fuser de toute part et en même temps on assiste à une véritable avalanche d’hypocrisies, chacun cherchant tour à tour à essayer de faire bonne figure en affichant une politesse insistante. Comme chaque année, la mère pousse même la mascarade jusqu’à inviter celui qui a été sauvé. C’est un homme jeune mais pas très brillant, sans charme ni talent, obèse et qui fera l’objet pendant une scène d’une cruauté sans nom des moqueries de tous, essayant une fois de plus de prouver sa reconnaissance d’être encore là à la place du fils tant aimé. Lorsque le fils demandera à sa mère de cesser de l’inviter, elle lui répondra que c’est impossible, que son chagrin serait encore plus insupportable si elle n’avait personne à détester.
Une fois encore, voilà un film qui décortique les rapports au sein d’une famille, mais aussi la difficulté voire l'impossibilité qu'ont les enfants à voir leurs propres parents vieillir comme s'ils étaient immortels. Chacun essaie de trouver sa place au-delà des sentiments, des secrets, des injustices. C’est difficile, voire impossible pour certains. Tout le monde se croise, chacun essaie de faire ce qu'il peut, et lorsque les enfants et petits enfants rentrent chez eux, laissant les vieux parents seuls dans la grande maison, ensemble mais séparés par un mur infranchissable de silence, on reste comme eux, envahis de tristesse et de résignation.
Le réalisateur avec délicatesse, subtilité, un humour discret et inattendu parfois et beaucoup d’amertume nous laisse entendre que malgré toute la détresse que provoquent certaines pertes, il faut s’appliquer à vivre avec les vivants pour ne pas risquer de passer sa vie rongé de regrets…