Les promesses de l’ombre de David Cronenberg ***
Une jeune fille russe de 14 ans meurt en mettant au monde une petite fille. Ana, la sage femme (d’origine russe) qui l’a accouchée découvre un journal intime dans son sac et se met en tête de le faire traduire pour découvrir qui était l’adolescente Elle se retrouve plongé dans l’univers de la mafia russe de Londres, autant dire que la brebis se jette dans la gueule du loup en rencontrant Semyon propriétaire d’un restaurant, son fils Kirril et leur chauffeur Nikolaï !
Au bout d’une heure ma moitié accompagnante avait découvert un aspect à la fois secondaire mais primordial et assez déconcertant d’un des personnages. Moi j’ai dit « pfff, mais non, voyons, c’est n’imp’… », j’avais tort mais comme je le dis souvent, j’entre toujours pure et innocente dans chaque salle. La même moitié pense que si l’on découvre ce genre d’éléments c’est qu’il y a de grosses ficelles qui dépassent et ça fait désordre ! Peut-être mais néanmoins, on ne peut réduire ce film-ambiance à ces faiblesses car c’est du grand Cronenberg, fascinant. C’est une enquête et la lecture en voix off, sans cesse interrompue du carnet intime de la jeune morte où l’on découvre au fur et à mesure le calvaire qu’elle a vécu, l’a fait avancer. On plonge dans l’univers mafieux avec stupeur et tremblements tant les codes qui y sont érigés sont faits de faux-semblants, de trahison, de vengeance. Dès qu’on met les pieds dans cette machine de guerre impitoyable, il est difficile d’en échapper. Comment va s’en sortir la brebis ?
Naomi Watts, avec son visage de boxer triste (le chien, pas le sportif) est trop fade, transparente voire absente par moments. Elle n’est pas à la hauteur. Quel dommage de passer à côté d’un aussi beau rôle ! Par contre, elle est entourée d’un casting haut de gamme et en forme. Armin Mueller-Stahl en patriarche séduisant et inquiétant fait de son regard de glace un atout et une arme implacable. Vincent Cassel, en fils dégénéré, alcoolique, violent mais perdu, très attiré sexuellement par Nikolaï est parfait et se régale visiblement à jouer les timbrés. Un jour il utilisera son visage véritable livre ouvert sans excès ni grimace et obtiendra c’est sûr SON rôle tout en sobriété ! Et évidemment, il est inconcevable de passer sous silence la prestation remarquable de Viggo Mortensen avec sa « gueule » véritablement taillée à la serpe, couturée de cicatrices, inquiétant, ambigu, énigmatique, raide et strict dans son costume. Il a la classe un peu vulgaire des mafieux, la présence imposante et impassible de l’homme à tout faire sans état d’âme. Il est l’atout numéro un du film et on ne se lasse pas de le voir évoluer, faire la moue, lever les sourcils imperceptiblement à chaque manifestation débile et furieuse de Kirril. Par ailleurs, il parle ou plutôt il chante et roucoule le russe et dans l’oreille se glisse comme un doux tvorog sucré une nouvelle chanson elfique… La désormais déjà célèbre (et culte ?) scène du hammam où il affronte seul et uniquement paré de ses tatouages deux sbires armés de cutters est une épreuve et un moment où l’on est littéralement scotché à l’écran. Inutile de préciser que pour Cronenberg la violence n’a rien de ludique, comme chez Tarantino par exemple, et que la chair et les jolis dessins qui couvrent le corps de Nikolaï souffrent, et nous aussi ! L’autre scène initiatique où Nikolaï doit renier ses parents pour entrer dans le « cercle de l’étoile », véritable rite au cours duquel d’autres tatouages lui seront gravés sur le corps est aussi un grand moment. Le film, mélancolique, dense et épuré est une succession d’instants tranchants comme des rasoirs.
Ne ratez pas le Retour du Roi Mortensen !