Train, bus, métro, pieds, TGV et train encore… aller à Cabourg se mérite. Mon arrivée en gare de Trouville sous des trombes d’eau est déjà un moment qui m’évoque Claude Sautet. Il pleut toujours au moins une fois dans les films de Claude Sautet, une averse torrentielle, équatoriale, tropicale. A Cabourg, c’est la saison de la mousson et donc, il pleut. Un charmant garçon tient une affiche du Festival à la main. Je m’avance, « je suis Pascale » lui dis-je d’un air rendu bête par l’excitation. En temps normal, je n’ai pas cet air bête je vous assure. « Je suis Sylvain, votre chauffeur » me répond-il !
Ça me va ! Je fais celle qui a l’habitude qu’on vienne la chercher à la gare dans une voiture grise qui porte un nom de peintre spingouin avec écrit dessus « voiture officielle du Festival de Cabourg ». Je fais celle qui a l’habitude qu’on lui porte ses valises. Pourtant j’aurais pu la porter encore un peu. Je l’ai tellement traînée ma valise de 48 kgs qu’aujourd’hui pour me gratter les pieds, je n'ai plus besoin de me baisser ! Je fais celle qui a l’habitude qu’on lui dise « ne bougez pas je reviens vous chercher avec un parapluie ». Je fais celle qui a l’habitude d’être entourée de gens qui murmurent à son passage « c’est qui, c’est qui ??? ».
Je fais celle qui… mais j’ai le cœur battant !
Entre Trouville et Cabourg, on longe la mer. Ce n’est pas vraiment celle de mon enfance mais elle lui ressemble comme sa petite sœur, toute grise et argentée avec ses plages interminables de sable fin. Déjà je me sens bien, ailleurs !
Déposée au pied de l’hôtel, je découvre ma chambre, toute propre, toute belle qui porte le nom d’ « Ecume des mers ». Je suis à « Barbie-Land », des voilages mauves entourent le lit, une multitude de coussins roses y sont posés. C’est kitsch à souhait, ça m’amuse. Je retrouve Sandra (mon amie scénariste, cinéphile, bloggueuse d’ « In the mood for cinema », festivalière infatigable). Nous découvrons la ville, le Grand Hôtel, tout est calme encore mais quelque chose se prépare... indéniablement. Nous discutons cinéma, cinéma et encore cinéma au restaurant et nos voisins de table, muets ne perdent pas un mot de notre conversation, nous observent avec un regard qui semble dire « c’est qui, c’est qui ? ». Nous avons nos billets pour un premier film à voir dès le lendemain. J’ai hâte de me retrouver enfin en salle.
Les 12 courts et 3 longs métrages que j’ai vus feront l’objet d’une autre note… Soyez patients !
Traditionnellement le dîner d’ouverture du Festival se fait au profit d’une association caritative. Cette année « La chaîne de l’espoir ». J’ai rendez-vous à 21 heures dans le hall du Grand Hôtel, lieu magique qui annonce la couleur d’un week-end proustien : « Un lieu de mémoire qui sera celui de vos meilleurs souvenirs ». C’est peu de chose de le dire ainsi !
Accueillie par Sarah, très sympathique et résistante responsable du jury, je découvre la table où ma place est réservée. Je fais connaissance de certains membres du jury et écarquille les yeux pour découvrir les « stars » déjà présentes. Le hall est devenu salle d’attente, salon des pas perdus où des acteurs, des réalisateurs passent devant moi… déjà rodée à l’attitude de « celle qui a l’habitude de », je fais celle qui trouve cela tout naturel.
Un beau jeune homme s’avance vers moi et me tend la main… Danse t’on dans le hall du Grand Hôtel, pensé-je ?
« Sagamore », me dit-il, je lui réponds « Pascale »… Je ne veux même pas chercher à savoir ni à comprendre pourquoi ces yeux bleus là se sont plantés dans mes verts à moi alors qu’il y avait 200 personnes (j’ai compté) autour de moi et ma robe du dimanche. Pour le reste, vous n’imaginez tout de même pas que… Il y a une vie privée, même à Cabourg, non mais…
Au menu… que des délices
et avant le dessert, un cadeau inestimable : un concert acoustique de Christophe. Instants bleus teintés de mots tendres et de références cinéphiles… Christophe a fait de ce récital en-chanté un moment suspendu au-dessus des volutes de fumée. Grâce à lui, le crépuscule sera grandiose, et c’est la dolce vita. La voix est claire et précise et peut atteindre les célèbres aigus atypiques sans difficulté. Et puis… comme les trois coups au théâtre, je reconnais instantanément l’introduction martelée de la merveille des merveilles et son piano m’enlace et c’est là que je découvre ma dévotion pour cet artiste qui fait monter le niveau lacrymal, qui me transporte dans une émotion à laquelle je ne m’attendais pas. Cette chanson écrite il y a plus de trente ans prend tout son sens qui devient bouleversant :
« Dans ce luxe qui s'effondre
Te souviens-tu quand je chantais
Dans les caves de Londres ?
Un peu noyé dans la fumée
Ce rock sophistiqué
Toutes les nuits tu restais là
Dandy un peu maudit, un peu vieilli,
Les musiciens sont ridés
Sur ce clavier qui s'est jauni
J'essaie de me rappeler
Encore une fois
Les accords de ce rock
Qui étonnait même les anglais ».
Je pleurs encore en l’écoutant…
Le lendemain, j’ai revu Christophe, je l’ai remercié et c’est minable en comparaison de ce qu’il a offert ce soir là…
Plus tard dans la soirée (l’inoubliable, omniprésent et délicieusement décalé) Johann Libéreau montera sur scène avec son djembé. Il est tard, il ne reste plus que quelques dizaines de personnes, et Christophe, si discret et si présent, remonte sur scène pour accompagner Johann au piano. Cadeau et magie sont de faibles mots. Ni l’un ni l’autre n’a quelque chose à vendre. Ils sont là avec nous, incapables de résister à la musique, à un piano à queue silencieux qui offre l’ivoire de ses dents !
Couchée très tard, levée tôt… aujourd’hui, vendredi, les choses sérieuses commencent. Les membres du jury doivent se retrouver… se trouver plutôt sur la plage, sous la tente « Ciné-Cinéma ». C’est la première rencontre, on mange ensemble au soleil, les pieds dans le sable, on se présente, on fait connaissance, les groupes se forment, les liens se créent, tout se fait dans l’urgence et tout à fait naturellement. Instantanément c’est l’évidence, Eric Lartigau, président du jury, souriant, détendu, agréable est « juste quelqu’un de bien ». Nous nous rendons en file indienne jusqu’à la salle où nous attendent (enfin) les 12 courts métrages que nous devons visionner. La séance est publique mais nos places V.I.P. sont réservées. Les « c’est qui ? c’est qui ? » fusent de nouveau.
12 films, 12 univers, 12 partitions, des chocs, des rires, des émotions. J’aime ce format de films si difficiles à voir en salle. Je me régale, je prends des notes consciente de la lourde responsabilité qui nous incombe… il va falloir n’en aimer qu’un. C’est si brutal, injuste, délicat.
Une pose entre deux séries de films… une nouvelle pose en fin de projection… et nous voilà réunis dans une salle spécialement réservée pour nous au Casino pour délibérer. Comme toujours ce moment redoutable est passionnant. Eric Lartigau prend les choses en mains en décidant que nous parlerons de TOUS les films un par un. Je suis soulagée car je crois que c’est exactement comme cela qu’il faut procéder : n’en repousser aucun, même si certains films ne font pas l’unanimité. Le travail, l’énergie et la passion que chaque film représente ne peuvent être écartés dans un silence méprisant. Tous les films sont donc évoqués.
A l’issue de ces délibérations nous devons récompenser : le meilleur réalisateur, la meilleure interprétation féminine, la meilleure interprétation masculine. C’est fait.
J’ai à peine une demi heure pour me changer et revenir dans la Salle Marcel Proust du Grand Hôtel où nous attendent un dîner buffet, une tombola des Voyages Romantiques, une soirée dansante… Les effectifs s’étoffent encore, Guillaume Canet, Gilles Lellouche, Marie Gillain, Sandrine Bonnaire, Guillaume Laurant… j’en oublie, et toujours Christophe qui bat la mesure inlassablement dès qu’une musique résonne, et toujours et encore Johann Libéreau, Johann Libéreau, Johann Libéreau si jeune, si touchant… distributeur de sourires, de bisous et de mots doux !
Samedi, je vois deux longs métrages… et je suis déçue qu’un moment de flottement et de désorganisation m’oblige à renoncer à voir le film de Sandrine Bonnaire « Elle s’appelle Sabine » dont tous les spectateurs sont sortis des projections en larmes. Il devrait sortir en janvier prochain. C’est long.
J’en profite, avec Mickaël et Annick, deux autres cinéphiles éblouis, pour faire une visite détaillée et « paparazzer » les salons, couloirs et étages du Grand Hôtel… Nous décidons que nous ne sommes pas là pour faire de la figuration passive ! Nous sommes émerveillés et nous arrêtons devant chaque cadre géant qui orne les couloirs et atteste des prestigieuses visites qui se sont succédées dans ce palace. Nous croisons Alice Taglioni, toujours charmante, Patrick Catalifo, très drôle lorsqu’il sourit devant les appareils photos qui le sollicitent, Daniel Duval qui se soumet aussi à une séance photos, Patrick Sabatier, Andrzej Zulawski à la présence imposante et charismatique, Jonathan Zaccaï à qui nous avons choisi de décerner le prix d’interprétation et qui nous en remercie…
Ce soir là c’est la Cérémonie de Clôture et la Remise des Swann d’Or 2007. Pour se rendre dans la salle il faut se plier au rituel quasi canno-hollywoodien du tapis rouge qui a été déployé entre le Grand Hôtel et le Casino… Deux cents mètres peut-être que nous parcourons en pratiquement dix minutes car nos prestigieux « collègues » du jury sont happés par la foule amassée qui souhaite prendre des photos ou se faire signer un autographe. C’est très amusant.
Une fois de plus, je suis aux premières loges et cette Cérémonie, présentée par Pierre Zeni, est de haute tenue, digne des César (en beaucoup moins long), sans fioritures inutiles mais néanmoins une projection de photos des années précédentes, des extraits de films sur écran géant, une musique d’ambiance, la montée sur scène des personnalités récompensées, immédiatement flashées par une horde de photographes… et une chaleur quasi insupportable qui voit s’agiter une marée d’éventails qui ont été remis à chaque invité !
Voici le palmarès :
Longs-métrages
- Swann d'or de la meilleure actrice : Marion Cotillard
- Swann d'or du meilleur acteur : Guillaume Canet
- Swann d'or de la révélation féminine : Clémence Poésy
- Swann d'or de la révélation masculine Fu'ad Ait Aatou
Dans la sélection long-métrage :
- Grand Prix du festival : "Franz+Polina" de Mikhaïl Ségal
- Prix du jury Jeunesse : "Naissance des Pieuvres" de Céline Sciamma
Dans la sélection court-métrage:
- Meilleur réalisateur : Alice Winocour pour "Magic Paris"
- Meilleure actrice : Johanna Ter Steege pour "Magic Paris"
- Meilleur acteur : Jonathan Zaccaï pour "De l'Amour"
S’ensuit le dîner de clôture où tout le monde est rassemblé, mélangé, mixé… les acteurs, réalisateurs, équipes de films, membres des différents jurys. Le conte de fée continue, une soirée dansante et un rendez-vous au piano bar où jusqu’au petit matin les filles et les garçons ayant troqué leur tenue de gala pour des jeans/t-shirts viennent au micro hurler ou susurrer des chansons.
Quelques heures de sommeil plus tard, il faut plier bagages, observer cette fin de festival, moment toujours sensible et déjà plein de mélancolie où les départs marquent la fin de quelque chose mais aussi l’ouverture sur des souvenirs enfouis, si personnels, si merveilleux.
J’ai pu encore prolonger ces instants hors du temps et de la réalité en rentrant à Paris avec la navette du Festival, me retrouvant ainsi avec les équipes des courts métrages. Merci à Gianguido Spinelli, Alexandre Jazébé, Caroline Dubreuil, Daphné Favrelière pour ce voyage parfois rock-and-roll et ces discussions passionnantes.
Une telle accumulation de cinéphilie ne serait pas complète sans quelques remerciements. Je tiens donc, très sincèrement et du fond du cœur à remercier Michel Rebichon, rédacteur en chef et « STUDIO MAGAZINE » qui ont lu, remarqué, compris et sélectionné ma lettre (parmi des milliers d'autres... :-)) qui leur exprimait ma passion démesurée pour le cinéma me permettant ainsi de vivre ces quelques jours dans des conditions idéales.
Merci à Sarah Beaufol, responsable du jury, toujours disponible, souriante et efficace.
Merci à Eric Leroy, responsable des transports, inlassablement aimable malgré la pression et les casse-têtes de planning…
Merci à Sylvain, Jean-Pierre et « mes » autres chauffeurs, tous merveilleux, qui m’ont évité pendant quatre jours de mouiller mon brushing et mes talons…
Merci à Eric Lartigau, président de jury impliqué, consciencieux, passionné de cinéma, ouvert, humain, sensible…
Merci aux autres membres du jury : Laure Duthilleul, la douce Sarah Biasini, l’énergique et adorable Alice Taglioni, la très sympathique et cinéphile Sylvie Feit, le très gentil, beau, drôle et décontracté Aymeric Cormerais, Patrick Soufflard, Sylvie Duguay, Josiane Rey, Olivier Jeanne et mes deux siamois Annick et Mickaël avec qui nous avons partagé de nombreuses heures d’éblouissement enthousiaste.
Et encore, et aussi et surtout, merci à Hervé, qui malgré les contraintes et désagréments m'encourage, se réjouit pour moi et me laisse vivre ma passion !
Enfin,
Merci à Johann Libéreau !
A suivre : ma « critique » des 12 courts et 3 longs métrages que j’ai pu voir…